Analyse
Chroniquer Picard 02x10 Farewell revient à composer la radioscopie d’une implacable descente aux enfers narrative, l’autodafé consciencieux et rituel d’une des plus éminentes œuvres de SF. Et que les spectateur le veuille ou non, le calice d’arsenic sera bel et bien bu jusqu’à la lie.
Pour planter le décors de la sinistre farce, et à l’aimable attention des nombreux spectateurs ayant arrêté les frais (du masochisme), commençons par un rappel des faits…
Résumé
La reine Borg convertie par Jurati est partie avec La Sirena, et désormais seule la Supervisor Tallinn dispose de la téléportation.
Mais qu’à cela ne tienne, alors que les héros (Picard, Tallinn, Rios, Seven, Musiker) se tapent tranquillement la causette au château, Adam Soong est déjà aux States ! Il est même à pied d’œuvre à la NASA pour mettre à profit qualité de mécène (et membre du conseil d’administration) pour approcher René Picard en dépit de la quarantaine et l’assassiner avant le décollage du Shango X-1. Mais en bon puppet master, il a aussi prévu un plan B à son domicile (des drones de sa conception programmés pour détruire la fusée en plein vol) assorti d’un piège (des explosifs dédiés aux voyageurs du futur dans le cas où ils chercherait à empêcher le lancement).
L’équipe de divise alors en deux, selon les affinités de couples : Picard et Tallinn à la NASA pour intercepter Soong, Seven et Raffi (et Rios) pour intercepter les drones. Sur le premier théâtre d’opération, Picard ne sert comme d’habitude à rien (il se cache derrière les murs pour observer Soong méfaire), et Tallinn pique l’uniforme et le badge d’une astronaute (Maya) pour rencontrer enfin Renée dans ses quartiers avant le décollage et... tout lui déballer (elle est son "ange gardien" depuis sa petite enfance et Soong veut la tuer). Pour transgresser ainsi la règle fondamentale des Supervisors, il ne pouvait que s’agir d’un adieu consenti. Tout en cherchant à mystifier le spectateur (sur qui est qui), Tallinn emploie son espèce d’écran holographique (qui cache ses oreilles romuliennes) pour prendre l’apparence de Renée, approcher Soong, et… se laisser gentiment tuer par lui (à la place de l’astronaute) au moyen d’une neurotoxine sur une pellicule dans la paume de sa main. Une diversion qui permet au Shango X-1 de décoller avec Renée, tandis que Tallin meurt dans les bras de Jean-Luc, avec le soulagement du devoir accompli en voyant décoller l’astronef.
Au domicile de Soong, le piège des explosifs est tant bien que mal évité, mais les quatre drones décollent successivement. Le talent de hackeuse de Musiker permet d’en reprendre partiellement le contrôle à distance et le talent de pilotage de Rios lui permet de les diriger les uns contre les autres. Ils explosent ainsi à quelques encablures de la fusée.
Ainsi, en dépit des innombrables bouleversements causaux infligés par Q, la reine Borg, et les héros eux-mêmes (une vingtaine d’assassinats perpétrés au sabre ou au poignard), la timeline est sauvée et le démoniaque Adam Soong est vaincu (mais comme tous les méchants, il a toujours un tour de plus dans son cas, et il sort d’un tiroir le dossier… de Khan). Est ainsi résolu en 23 minutes on screen le défi principal de la saison.
Passons maintenant aux récompenses du jeu et aux épilogues…
Kore qui a quitté le domicile familial reçoit un mystérieux message sur son laptop lui fixant rendez-vous dans un parc. Surprise, le billet doux… venait de Wesley Crusher. Celui qu’on n’attendait pas. Il est devenu voyageur spatio-temporel, et officie comme protecteur de l’intégrité du temps au sein de l’organisation des Travellers qui s’avèrent être les employeurs des énigmatiques Supervisors !!! Il propose d’embaucher Kore dans cette organisation. Entre une vie normale et l’aventure périlleuse donnant un sens à sa vie, elle choisit la pilule rouge. Aussitôt dit, Wesley tend fraternellement la main à sa nouvelle catéchumène et ils se téléportent vers l’inconnu. Rarement une œuvre audiovisuelle aura proposé une scène aussi incongrue et WTF… mais nous y reviendrons…
Picard, Seven, Musiker, Rios, Teresa, et Ricardo se retrouvent au château insalubre (la téléportation reste possible malgré la mort de Tallinn ?), tous résignés à terminer leurs jours au 21ème siècle (et même à devoir y travailler). Mais voilà que Q rend visite à Jean-Luc au château — mais attention, le Q apaisé des beaux jours, non le Q evil du reste de la seconde saison. C’est l’heure du dernier sacrement, donc de la confession avant la mort : confronté à la solitude de sa soudaine mortalité (que Jean-Luc avait apprise via Guinan 2.0), Q voulait épargner à son humain préféré — qu’il aime d’un amour divin tendre — de connaître son sort, et pour l’aider à convoler (avec Laris), il fallait qu’il guérisse de sa psychose et vainquant ses démons d’enfance ! Tel était donc le véritable objectif de tout ce cauchemar.
Cette mission essentielle étant dûment remplie, Q va utiliser ses ultime forces — et expirer dans le processus — en ramenant Jean-Luc et ses compagnons à leur époque. Et les morts ? Eh bien quoi ? Pour Tallinn, elle devait mourir dans toutes les timelines. Et pour Elnor, il y aura bien une surprise (plus tard). Mais Rios décide de rester au 21ème siècle pour les beaux yeux de Teresa et parce qu’il est convaincu que là est sa place depuis toujours.
Parce que ce retour dans le futur signera le trépas de Q, Jean-Luc prend l’initiative d’étreindre tendrement son meilleur ennemi pour qu’il ne soit pas seul en trépassant. Un ultime « Farewell, mon capitan » qui parlera au cœur de tous les trekkers. Puis dans une dernier claquement de doigt du Continuum… Picard, Seven, Musiker sont renvoyés sur le pont de l’USS Stargazer… juste quelques secondes avant leur départ par la sortie transdimensionnelle à la fin de Picard 02x01 The Star Gazer.
Et là, un autre défi attend Picard : comprendre la situation en quelque secondes pour éviter de disparaître dans l’autodestruction (car cette fois il n’y aura pas de Q pour le sauver). Eureka : Jean-Luc comprend que la nouvelle reine borg invulnérable, tentaculaire, et au visage masqué n’est autre que Jurati ! Alors à la dernière seconde, Picard ordonne l’annulation de l’autodestruction. Mise en confiance, elle dévoile son visage : la face de Jurati (quelque 377 ans après) avec un occiput cybernétique de Borg. On la nommera Borgati.
Son entrée fracassante en début de saison et sa prise de possession de la flotte était une façon bien à elle de solliciter l’amitié de la Fédération afin de faire front contre un ennemi commun : un gigantesque wormhole en formation dont la radiation tri-quantique unidirectionnelle risque d’anéantir tout le quadrant. Seule façon de contrer cette manace : composer un bouclier commun avec le gigantesque vaisseau borg et les 33 vaisseaux de Starfleet. Pour l’occasion, Picard promeut Seven capitaine de l’USS Stargazer (une "field commission") et ordonne à la flotte de laisser Borgati en prendre le contrôle. Avec tous les vaisseaux déployés en éventail face à l’anomalie spatiale, le rayon de la mort est endigué durant une scène spectaculaire. Puis le wormhole change de couleur (d’orange à bleu) et d’aspect. Il s’agissait de la formation d’un gigantesque "transworp conduit", mais d’une origine inconnue. Borgati, qui a ainsi sauvé des milliards de vie, demande à rejoindre provisoirement la Fédération pour devenir "guardian at the gate", fonction noble s’il en est, notamment depuis Game Of Thrones. Avec ce "Mur" à garder, la série Picard s’est trouvé un nouveau péril galactique pour la troisième saison.
En parallèle, Raffi découvre qu’Elnor est en vie et intègre sur l’USS Excelsior, ses derniers souvenirs remontant à sa mort sur le CSS La Sirena. Ultime cadeau de Q.
De retour sur Terre dans le bar "10", Guinan révèle qu’elle savait tout depuis le début, mais qu’elle ne devient rien dire à Jean-Luc pour ne pas compromettre son grand voyage initiatique et thérapeutique. Il y a même une vieille photo jaunie de Cristóbal et de Teresa qui trône dans une alcôve, car Guinan les as bien connu à l’époque. Un couple formidable : ils ont créé un mouvement médical, les Mariposas (les papillons du célèbre effet en espagnol), pour aider les gens dans le besoin partout. Quant à "leur" fils Ricardo, il a réuni les esprits les plus brillants de son temps afin de dépolluer les océans, la terre et le ciel grâce à un organisme extraterrestre découvert par Renée durant la mission Europa.
Un vrai conte de fées.. qui arrache un grand sourire sur le visage fatigué de Jean-Luc : tout devient clair, la boucle est bouclée.
Il est grand temps pour lui de revenir au Château Picard, pour retenir la fidèle Laris (qui s’apprêtait à plier bagage suite à sa dérobade dans Picard 02x01 The Star Gazer), se réconcilier avec elle, et… convoler. Hourra.
Voilà, tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes possibles.
Ou pas.
Conclusion
Après au moins sept épisodes consécutifs qui souffrent presque exactement des mêmes travers, les verdicts s’apparentent de plus en plus à du psittacisme. Faut-il asséner une nouvelle fois les mêmes anathèmes (ou cris d’orfraie) — et qui finissent par perdre leur prégnance à force d’être répétés chaque semaine : incohérence, contradictions, non-sens, illogismes, WTF, TGCM, bullshit, n’importe nawak, trahison, viol, profanation, et tutti quanti… Mais comment échapper à cette boucle temporelle puisque les mêmes causes engendrant les mêmes effets ?
Malheureusement, comme si ce bilan circulaire ne suffisait pas à l’édification, le final Picard 02x10 Farewell réussit à encore damer le pion. Car non content de concentrer et compacter en barre tous les principes actifs de la seconde saison, il s’en décharge avec dédain, comme s’il avait lui-même marre des tous ces fils narratifs ne menant nulle part, et qu’il était impatient de tourner la page. Du coup, on bâcle vite fait toutes les questions en suspens, en espérant que la saturation de clôtures masquera leur facticité.
Inutile alors d’expliciter quelle sensation d’arnaque cela inflige au spectateur sincère qui s’imaginait être in fine récompensé de sa fidélité et de ses pieuses attentes...
Picard 02x10 Farewell aura saboté un thème pourtant d’une immense potentialité, i.e la mort d’un "dieu" au sens science-fictionnel (de la troisième loi de Clarke) et la dernière apparition d’un personnage ultra-culte (Q).
Les showrunners de Secret Hideout ont surtout tenté de faire ici la version longue du chef d’œuvre ST TNG 07x25+07x26 All Good Things… mais sans en avoir les moyens ni créatifs ni intellectuels. Lorsqu’un des opus les plus hauts perchés de toute l’Histoire de la SF, écrit par Brannon Braga & Ronald D Moore (deux génies scénaristiques qui jamais ne furent aussi grands qu’en travaillant ensemble)... s’abîme soudain dans une piètre contrefaçon maquillée par des faiseurs incompétents et cuistres, eh bien ça donne... la seconde saison de Picard ! Un cas d’école qui mériterait d’être enseigné dans les cursus de cinéma. Ou la somme de tout ce qu’il ne faut pas faire.
Picard 02x10 Farewell est épouvantablement mauvais même selon les nouvelles normes du #FakeTrek, entre le pathos ruisselant qui remplace le sens, les impuissances d’écriture qui narrent à contresens de la dramaturgie, les comportements des protagonistes plus irresponsables et inconséquents les uns que les autres, les conclusions qui contredisent frontalement les prémisses et les développements, les incohérences systémiques qui constituent désormais le tissus même de la réalité...
Mais paradoxalement, la mécanique temporelle est un peu moins nawak qu’elle n’en avait l’air (le Pogo paradox de ST VOY 05x24 Relativity) et elle aura finalement eu le "mérite" de démontrer de façon cette fois mathématique que la série Picard n’a jamais pris place dans la timeline historique roddenberro-bermanienne. Ce qui vaut bien ½ point à la note épisode...
Alors en supposant qu’il y a eu une part de sincérité dans l’équipe de production, il serait possible de voir dans cette seconde saison le pèlerinage fétichiste des cancres au scénario et des bras cassés à l’interprétation...
Les auteurs n’ont-ils compris que de s’enfermer dans des invariances (Guinan, Q), des filiations (une dynastie de savant fous identiques pendant quatre siècle vs. une dynastie de héros...) et des sosismes (Laris/Tallinn) plus cheatés les uns que les autres réduit à néant les opportunités de dialectique et de distanciation de regard qu’offrent pourtant les voyages temporels et les changement d’époque.
Les acteurs vétérans de la franchise n’ont-ils pas confondus par orgueil les personnages exceptionnels qu’ils avaient un jour incarné avec les vedettes sur le retour qu’ils sont devenus dans leur quête d’un dernier coup de projecteur ?
Auquel cas avec pour effet de projeter leurs propres angoisses conformismes dans une exécrable imitation de Star Trek, quitte pour cela à sacrifier toute l’ambition de la SF aux pires trivialités suivistes.
Ainsi, être une crypto-divinité, voyager dans le temps et dans l’univers en FTL... eh bien tout ça ne vaut pas un bon mariage, fût-il de dépit et à 96 balais s’il le faut, histoire de ne pas finir sa vie tout seul.
C’était déjà ce type de prosaïsme qui se dégageait en puissance de ST 2009. Léonard Nimoy se moquait royalement des composantes SF ou philosophiques, mais il était convaincu que le reboot de JJ Abrams était un bon Star Trek car le film célébrait l’amitié entre sept gusses... C’était bien tout ce qui comptait à ses yeux, car c’est ce à quoi il résumait la finalité et la vocation de la création de Gene Roddenberry. Entre le plus petit bout de la lorgnette et le dénominateur le plus commun possible. Aller si loin dans l’espace et le temps pour juste se contempler le nombril, prendre un tel élan pour faire finalement du surplace...
Mais plus douloureux encore que le naufrage de ce qui a été si mal traité et montré, il y a l’avalanche des opportunités manquées et de ce qui aurait pu voire le jours sous d’autres plumes. Car pour mémoire, dans la chronologie trekkienne, 2024 correspondait aux Émeutes de Bell (ST DS9 03x11+03x12 Past Tense) et à l’union de l’Irlande (ST TNG 03x12 The High Ground), puis 2026 voyait les prémices de la Troisième Guerre mondiale qui allait causer (jusqu’en 2053) rien de moins que 600 millions de morts, adossés à l’écoterrorisme, l’horreur post-atomique, le contrôle des militaires par des narcotiques... tout en dévoilant de profondes intrications avec l’écume des Guerres eugéniques (jusqu’à engendrer parfois des erreurs de datation). C’était aussi la période où avait émergé le despotique colonel Philip Green de sinistre mémoire mais ayant laissé une empreinte sur la postérité trekkienne qu’un Adolf Hitler…
Soit un terrain internaliste tout en potentialité et d’une exceptionnelle fertilité, qu’ambitionnait justement de traiter (par différents biais indirects) la série ST Enterprise dans ses saisons 5 à 7 voire 10 (si elle n’avait pas été annulée).
Songer à la passion et à l’ambition que le worldbuilder exceptionnel Manny Coto (et Brannon Braga en amont) avait investi pour explorer toutes ces racines trekkiennes (et bien d’autres), puis comparer à ce que Picard aura été incapable de faire (se contentant de manipulations éhontées, de remplissages stériles, et de diversions intellectuelles) alors que sa seconde saison avait un boulevard télique et intradiégétique de problématiques SF devant elle, cela a vraiment de quoi laisser les trekkers exigeants à la fois furieux et inconsolables.
D’autant plus que se plonger ouvertement dans la dystopique WW3 aurait permis de satisfaire la démagogie décliniste à la mode sans trahir pour autant l’idéal trekkien. Ajouté à cela les dégradations (anthropiques ou pas) de l’écosystème, les recherches sur le clonage de généticiens sans conscience, les mouchards de surveillance invasifs... il y avait vraiment de quoi offrir une radioscopie des peurs et des angoisses de ce début de siècle mais sans perdre de vue les horizons idéalistes d’une société meilleure...
Mais évidemment, encore fallait-il pour cela de véritables auteurs capables de dépasser le stade anal du VIPisme forcené, du soap autocentré, et de la moraline diabétique...
Il existe des productions qui cherchent à être drôles, mais qui réussissent juste à faire rire d’elle.
Et il existe des productions qui cherchent à être touchantes, mais qui réussissent juste à susciter la pitié.
La vieillesse est un naufrage, tel est probablement le seul "message" de cette seconde saison, mais un message à ses dépens.
Il subsiste juste l’ombre de personnages que les trekkers ont jadis passionnément aimé. Mais à aucun moment, ils ne sont apparus dans la série Picard. Seuls leur interprètes étaient présents. Et finalement ces derniers auront démontré par l’absurde qu’à un certain niveau d’excellence et de démiurgie, les personnages finissent par s’affranchir de leurs véhicules et y gagnent leur propre existence. Mais la contrepartie est que leurs interprètes originels ne seront plus forcément capables de les incarner, passé un certain niveau de désynchronisation. Et ce qui est valable pour Wil Wheaton l’est hélas tout autant pour Patrick Stewart...
Picard aurait ainsi prouvé une chose, c’est que l’aventure de Jean-Luc Picard est définitivement sortie de l’écran à la fin de Star Trek Nemesis, un film hélas très sous-évalué mais qui monte généralement dans l’estime des spectateurs à chaque revisionnage. Et davantage encore par opposition à son "anti-suite" Picard.
Farewell en effet, mais c’était il y a déjà vingt ans.
Note Star Trek
Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité