.

L'observateur
.

Critique
L’épreuve de Discovery 04x13 Coming Home fut telle que Frank est parti en soins intensifs sur Risa. Nous lui souhaitons un bon rétablissement et espérons le retrouver bientôt, fidèle au poste…

Les showrunners ont beau changer (Michael Chabon hier, Terry Matalas aujourd’hui), la série Picard obéit toujours à la même structure narrative… payée en crédit revolving : du géocaching à travers l’espace et/ou le temps en quête d’un improbable MacGuffin interchangeable… avant qu’un autre prenne le relai. Dans Picard 01x05 Stardust City Rag, la "Picard team" trouvait enfin Bruce Maddox, dans Picard 02x04 Watcher ce sera – comme son titre l’indique – l’agent spatiotemporel en prise avec la divergence temporelle génératrice de l’hyper-dystopie godwinienne dans laquelle Q avait expédié Picard et ses cinq compagnons (au cours du second épisode de la deuxième saison).

Après avoir activé les boucliers occulteurs de La Sirena (eh oui, ce vaisseau de la Confederation en possédait, alors pourquoi ne pas les avoir mis en service avant le crash pour réduire les risques de détection ?), Jurati et Picard vont se balader nuitamment dans le Château Picard, totalement désaffecté et insalubre à cette époque (sa famille se serait réfugiée en UK durant l’occupation nazie et ne serait pas revenue à la Libération, cas totalement inédit en France). L’amiral est alors assailli par des flashbacks de son enfance passée dans ces mêmes murs dans le futur – souvenirs d’événements qui n’ont pas encore eu lieu.
Par un jeu de coïncidences numérologiques (15 billes sur le boulier, 15ème volume de l’Encyclopedia Britannica, un Pinot noir du millésime 1915), Jean-Luc en déduit qu’Agnès a inconsciemment glané dans l’esprit de la reine borg la date exacte du point de divergence, à savoir le 15 avril 2024… c’est-à-dire seulement trois jours après (la scène se déroulant le 12 du même mois). Comme dans les derniers épisodes de la quatrième saison de Discovery, il ne manquait qu’un compte à rebours pour insuffler artificiellement de l’urgence, histoire de ne laisser aucun chance à la profondeur et la contemplation, mais surtout pour que la viduité scénaristique n’apparaisse pas dans toute sa béance.

Picard est donc téléporté par Jurati aux coordonnées que cette dernière avait soutiré à la souveraine déchue… Mais surprise, l’amiral se matérialise exactement devant le même bar "10" tenu par Guinan que dans Picard 02x01 The Star Gazer… mais quelques 477 ans plus tôt. Et pour tout "Watcher", Picard y rencontrera… Guinan… mais dans un version toute jeune (interprétée par Ito Aghayere).
Cette forme d’invariance d’une Guinan à l’autre dans un même établissement "d’abord" (en 2501) hommage et "finalement" (en 2024) préfiguration (le "10" faisait clairement référence au Ten Forward de l’USS Enterprise D de ST TNG) tiendrait de la facilité d’une série en panne d’imagination qui, malgré les années-lumière et les siècles d’écart, conduirait toujours les mêmes personnages à se croiser encore et encore. Moins l’audace de L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961 que le travers typiquement kurtzmaniens du VIP syndrom dans un micro-multivers.
Passons sur les échanges entre Guinan et Picard qui ne réussissent même pas à être émouvants – à la façon d’une prédestination transcendante par-delà le temps et l’espace – puisque la jeune et sémillante El-Auriane ne reconnait pas ce vieillard cacochyme qui vient frapper à la porte de son bar au moment où elle s’apprête à cesser son activité… ce qui conduit Jean-Luc à une séance de mendicité qui renforce encore davantage le sentiment misérabiliste qui afflige sa prestation depuis le début de la seconde saison...

Tout trekker qui se respecte s’indignera alors de la lourde rupture de continuité qui frappe cette scène faussement mythique. En effet, le mémorable diptyque ST TNG 05x26+06x01 Time’s Arrow avait scellé en 1893 – soit 131 ans avant 2024 – la première rencontre entre Picard et Guinan. Et comme cette dernière est visiblement en pleine possession de ses moyens, il est choquant qu’elle ne reconnaisse par cet ami bien particulier qui l’a si fidèlement accompagné durant son exceptionnelle longévité multicentenaire… à croire que la série ST TNG n’a jamais existé.
Mais face au tollé suscité outre-Atlantique, c’est justement l’argument que Terry Matalas est venu invoquer dans une communication postérieure à la diffusion de l’épisode : puisque dans la timeline dystopique créée par Q (et d’où provient Picard) ST TNG 05x26+06x01 Time’s Arrow n’a pas eu lieu, Picard n’a pas accompli de voyage temporel en 1893, et Guinan ne l’a donc jamais rencontré avant 2024.
La justification du showrunner, au demeurant un peu trop évidente, tient la route de prime abord… mais ne survit pas à un examen minutieux. Le gros hic, c’est que ce type de raisonnement engendre un effondrement entropique. Si les événements de ST TNG 05x26+06x01 Time’s Arrow n’ont pas eu lieu en 1893, alors cela signifie que Picard 02x04 Watcher ne se déroule de facto pas dans la timeline de ST TNG, et que le point de divergence entre les lignes temporelles n’est pas sis le 15 avril 2024 mais au minium en août 1893 voire bien avant. Par extension, cela signifie que tous les autres voyages temporels vers des points antérieurs de la chronologie n’existent plus (ST TOS 01x28 The City On The Edge Of Forever, ST TOS 01x21 Tomorrow Is Yesterday, ST IV The Voyage Home, ST DS9 04x08 Little Green Men, ST DS9 06x13 Far Beyond The Stars, ST VOY 03x08+03x09 Future’s End, ST ENT 03x11 Carpenter Street… sans compter tous ceux qui n’ont pas été mis en scène donc off screen avec d’éventuels autres équipages).
Vraiment de quoi engendrer une timeline rétroactivement alternative. Dès lors, la restauration de continuité ambitionnée par les héros de la série devient sans objet ou du moins incohérente… comme dans Back To The Future Part II (1989) lorsque le vieux Biff Tannen avait regagné avec le plus grand naturel un futur qui n’existait pourtant plus (rien que pour que les héros puissent ensuite corriger la déviance).

Pour ne rien arranger, sans toutefois dénier quoi que ce soit à l’interprétation charismatique d’Ito Aghayere, ce recast est particulièrement malvenu. Car autant il est légitime de recaster un personnage pour le figurer nettement plus jeune, autant ce procédé rencontre ses limites du fait de l’existence (quand bien même désormais alternative) de ST TNG 05x26+06x01 Time’s Arrow… puisque c’est justement Whoopi Goldberg qui y interprétait une Guinan plus jeune de plus d’un siècle (ce qui n’est pas rien). Ito Aghayere a donc la mission ingrate de s’insérer chronologiquement entre Whoopi Goldberg plus jeune et Whoopi Goldberg plus âgée, ce qui a surtout pour effet de renforcer la sensation de schizophrénie d’une timeline distincte que celle de Kelvin, et cela avant même le 15 avril 2024 de la prétendue divergence fatale.
Enfin, les scénaristes n’ont aucun scrupule à jouer sur les deux tableaux (i.e. de tricher diégétiquement). Car Picard a beau lui révéler qu’il connait son identité El-Auriane, lui promettre un futur meilleur pour tenter de la remotiver à tenir son bar quelques jours de plus et ainsi honorer sa "fonction" présumée de Watcher, la jeune Guinan – désillusionnée par l’humanité – reste sourde aux suppliques désespérées du vieil homme. Mais aussitôt que Jean-Luc lui révèle son nom et sa provenance, alors aussi sec, l’El-Auriane le prend au sérieux et le conduit sans discuter à la vraie Watcher (qu’elle n’est finalement pas elle-même) ! Du coup, faudrait savoir : Guinan connait-elle Picard ou pas ? Est-elle décliniste et incrédule sur la possibilité d’un avenir utopique ou sait-elle que la Fédération adviendra ? Une contradiction que ne pourrait expliquer l’Af-kelt (ou "time sickness") dont l’El-Auriane avait fait montre dans ST TNG 03x15 Yesterday’s Enterprise… mais dont Picard ne pourrait se souvenir et que pourtant il convoque explicitement.
Manifestement, nous ne retrouvons pas ici le Terry Matalas qui avait assisté Brannon Braga en des temps trekkiens fastes, mais le Terry Matalas des outrances capillotractées de 12 Monkeys, une série dont la mécanique temporelle – à force de surenchères lostiennes – se prenait trop souvent les pieds dans le tapis…

La surprise in-universe tient au fait que la Watcher (à laquelle Guinan conduit Picard) se révèle être en réalité une Supervisor, c’est-à-dire une membre de la mystérieuse organisation alien à laquelle appartenait Gary Seven dans ST TOS 02x26 Assignment : Earth, le pilote du spin-off avorté de la série originale et dont les aventures se sont poursuivies à partir de 2008 dans l’univers étendu en comics sous la plume de John Byrne...
Mais "syndrome VIP" oblige, il fallait que ladite Supervisor soit interprétée par Orla Brady, autant dire une sosie – mais apparemment humaine (i.e. sans oreilles pointues) – de la fidèle Romulienne Laris... née pourtant des siècles dans le futur. Ben voyons... La série va-t-elle nous la faire Sela / Tasha Yar à l’envers ?

Après leur disparition dans un portail de téléportation vaporeux (façon ST TOS 02x26 Assignment : Earth), l’épisode s’achève par un épilogue où la lointaine aïeule de Jean-Luc, la jeune astronaute Renee Picard (interprétée par Penelope Mitchell), lit sur un banc un roman de Dixon Hill (comme par hasard...), avant de s’embarquer pour la fameuse Europa Mission (elle sera donc cette première Picard à quitter la Terre)...
Or Q la surveille de près... Mais il découvre soudain qu’il a perdu ses pouvoirs !
Quel cliffhanger de ouf ! Enfin bon, l’essentiel est que cette dramédie se passe en famille...

De leur côté, afin de retrouver Rios dépourvu de combadge et embarqué par la Migra en l’absence de papiers d’identité, Raffi et Seven se lancent le diable au corps dans un trip Thelma & Louise (1991) mais davantage façon Tony que Ridley Scott. Objectif : être les plus voyantes possibles, se retrouver avec tous les flics du pays au cul, faire un maximum de casse, et donc pourrir au maximum la timeline... tout en ne manquant jamais une occasion d’anathématiser ces abjectes forces de police trumpiste pratiquant la chasse aux immigrés en toute impunité.
Au terme d’un rodéo urbain dans le sillage de la plantureuse T-X dans Terminator 3 : Rise Of The Machines (2003) de Jonathan Mostow, Raffi & Seven seront téléportées par Jurati de façon spectaculaire (au nez et à la barbe d’une patrouille de police) à destination de la trajectoire du bus de prisonniers transportant Rios (afin de l’intercepter).
Agnes aura réussi à restaurer l’énergie de La Sirena grâce à l’aide de la souveraine borg... en contrepartie de la promesse (non tenue pour le moment) de se livrer à elle. Eh oui, Jurati a une touche, mais elle est bien éduquée (jamais le premier soir). Il faut dire que la reine se sent bien seule sans son collectif d’esclaves et elle confesse une attraction sapiosexuelle (et masochiste) pour la cybernéticienne (qui a si bien réussi à lui tenir tête). Ben oui, les dominant rêvent toujours d’être dominés au pieu.
Miam. Un vrai roman de gare... avec à peu près la même maturité psychologique et politique. Est-ce vraiment le seul horizon du #FakeTrek ?
Avec à la clef un nouveau retcon... cette fois du paradigme borg... qui cesse d’être le collectivisme ultime dont la reine était l’émanation (dans Star Trek) pour devenir désormais le fascisme ultime dont la reine est le führer (dans le KurtzTrek).

(…)

Le serial et le jeu de piste se poursuivent donc de plus belle... mais dans un bac-à-sable lilliputien où les potentialités exploratoires et stimulantes s’échouent sur les pires écueils du fan-service (miniaturisation contextuelle résultant d’un balisage d’emprunts, de références, ou d’Easter eggs) et du soap (VIP-only, sosies, liens familiaux, entre-soi égocentrés, interconnexions circulaires en tous lieux et en tous temps...).
La (para)logique temporelle laisse de plus en plus à désirer... Mais le plus lourd et le plus contreproductif est encore la prétention de Picard 02x04 Watcher à délivrer de pseudo-messages politiques pompeux et bienpensants qui se révèlent aussi tendancieux que simplistes... tant l’empressement des showrunners (et de Patrick Stewart) est grand à influencer les scrutins électoraux du présent.
Donc, surtout, retenez la leçon, et votez "bien", votez Démocrate si vous tenez à ce que l’utopie trekkienne voie le jour. Du moins celle d’Alex Kurtzman qui est synonyme d’USA sans SDF ni police migratoire, mais avec davantage de techno et de wokisme, et surtout un "droit" de vie et de mort sur toutes les civilisations de la galaxie et donc le "droit" à quelques génocides au besoin (mais au moins les rues sont propres).

Alors certes, subsiste une certaine curiosité (malsaine ?) à découvrir la suite... mais sans pour autant réussir à y "croire" une seule seconde tant la sensation d’artificialité l’emporte (aussi bien en internaliste qu’en externaliste).
En gros : la seconde saison de Picard, c’est un peu n’importe quoi, mais les madeleines de Proust y sont si nombreuses que ça peut rendre indulgent...
Hélas, lorsque l’idéal trekkien est à ce point détourné, dénaturé, contrefait, instrumenté, et désormais contenu dans une pochette surprise, c’est encore pire que l’absence d’idéal trekkien.


Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité