Analyse
Au travers d’une nouvelle timeline sujette au syndrome VIP, en somme un univers miroir non assumé, Picard 02x02 Penance avait manifestement pris le parti de recycler l’arc miroir parodique et cartoonesque de la première saison de Discovery (DIS 01x09 Into The Forest I Go, DIS 01x10 Despite Yourself, DIS 01x11 The Wolf Inside, DIS 01x12 Vaulting Ambition, et DIS 01x13 What’s Past Is Prologue).
Les facilités du serial des années 30 se retrouvent intactes dès le début de Picard 02x03 Assimilation, puisque le gros cliffhanger par lequel s’achevait l’épisode précédent est résolu en un tournemain (c’est-à-dire en moins de cinq minutes chrono) : les héros éliminent le premier magistrat (et époux d’Annika dans cette timeline) et son groupe d’assaut. Et c’est avec le plus grand naturel que Raffi et Seven désintègrent sans vergogne tous leurs ennemis, c’est-à-dire de façon aussi anti-trekkienne que lorsque Elnor égorgeait le personnel de sécurité dans Picard 02x02 Penance...
Puis La Sirena échappe aux nombreux vaisseaux poursuivant par la grâce d’un déséquilibre profondément factice : aucun des vaisseaux de la Confédération n’atteignent leur cible, tandis que le vaisseau de Rios les atteint tous. Mieux encore, les poursuivants ont la politesse de se laisser gentiment démolir puisqu’ils laissent gentiment leurs boucliers inactifs.
Jurati achève de plugger au Sirena la reine borg. Cette dernière prend alors le contrôle des opérations, et achève instantanément tous les vaisseaux poursuivants (étant donné l’écrasante supériorité tactique de la reine, on se demande comment la Confédération a pu vaincre tout l’Empire Borg). Puis se dirigeant vers le soleil, elle lance la "slingshot maneuver" à distorsion pour générer une fissure temporelle qui conduit l’équipage en 2024 (mais il est toujours aussi curieux que soit ainsi ignoré plus d’un siècle de progrès temporels depuis ST IV The Voyage Home).
Surprise, La Sirena émerge alors dans un étrange univers fantaisiste (ou de fantasy) où la Terre occupe une orbite solaire encore plus proche que celle de Mercure – la planète bleue étant largement visible à l’œil nu depuis la photosphère ! L’astronomie n’a qu’à bien se tenir.
Le voyage temporel ayant vidé la reine de son énergie, Jean-Luc reprend le contrôle du vaisseau, et par discrétion, il décide de le poser – le crasher en réalité – à La Barre en Bourgogne (France), au voisinage de ce qui deviendra plusieurs siècles après le Château Picard… comme s’il s’agissait là de la région la moins peuplée de notre planète ! Et donc en mode performatif (TGCM quoi !), nul indigène terrien (en l’occurrence nul Français) ne remarque l’arrivée spectaculaire du vaisseau, pourtant non-équipé de boucliers occulteurs (contrairement au vaisseau klingon de ST IV TVH).
C’est ainsi que débute la diégèse principale de la seconde saison, à savoir la visite des protagonistes au 21ème siècle, et plus précisément l’année 2024 où Benjamin Sisko s’était lui-même échoué et avait dû remplacer Gabriel Bell pour préserver la timeline dans ST DS9 03x11+03x12 Past Tense...
L’elfe Elnor décèdera des blessures qui lui furent infligées par le premier magistrat à la fin de Picard 02x02 Penance… ce qui plongera Raffi dans un état convulsif et forcené. Elle reprochera haineusement à Jean-Luc de maintenir la reine borg en vie (alors qu’elle seule connait l’origine de l’altération temporelle à rectifier ainsi que la localisation du mystérieux Watcher). Pire, Musiker ira même jusqu’à tenir l’amiral responsable de ses "jeux" avec Q (car chacun sait bien que Picard est lui aussi un être omnipotent) !
Au nombre des absurdités cognitives, Raffaela perdra de vue que sans Q (et Picard), Elnor serait de toute façon mort depuis longtemps, tout comme elle-même, Seven, et ses autres proches dans l’autodestruction de l’USS Stargazer... Et sans l’intervention de Q, aucun d’eux n’aurait la possibilité de réécrire la ligne temporelle, pas seulement pour empêcher la dystopique Confédération d’exister, mais aussi et surtout pour éviter l’attaque borg 2.0 létale (dont la présente situation découle).
Et pourtant, malgré presque un siècle et demi d’expériences temporelles intensives (et de mécanique temporelle enseignée à Starfleet Academy), aucun héros de la série (pas même Seven, Picard, ou la "géniale" Jurati) ne sera fichu d’anticiper et comprendre que la restauration de la timeline initiale implique forcément aussi le retour d’Elnor (puisqu’il en résulte causalement). On barbote à nouveau dans les eaux opaques de l’Idiocratie... voire du Jackass à la ST 2009 (où plutôt que de se réjouir d’avoir une seconde chance pour sauver Romulus de la destruction, Nero s’emploie haineusement à anéantir les autres planètes...).
Soit une autre facette de la gouvernance par la seule émotion surchargée au mépris de la raison, priorisant la contemplation de soi sur l’intérêt général, et qui est décidément la marque de fabrique du #FakeTrek kurtzmanien. Après le pathos larmoyant (Burnham) de Discovery, voici maintenant le pathos hystérisant (Musiker) de la série Picard, et bien sûr toujours prioritairement associé à la gent féminine pour bien pérenniser les pires clichés sexistes en dépit de postures prétendument wokes...
Arrivée sur la Terre de 2024, les protagonistes se scindent en deux groupes :
- Seven, Musiker, et Rios emploient l’ultime énergie dont dispose encore La Sirena pour se téléporter à Los Angeles au voisinage de la Markridge Industrial Tower pour employer à son sommet leur tricordeur afin de repérer des technologies anachroniques dont le Watcher est supposé pourvu.
- Picard et Jurati restent à bord de La Sirena pour restaurer l’énergie à la fois du vaisseau et de la reine borg (toujours vivante mais incapable de communiquer)...
À L.A., Seven se téléporte sous le nez d’une gamine qui la prend pour une super-héroïne, mais elle ne cherche pas à la détromper. Picard n’a peut-être pas "l’esprit Star Trek", mais elle a assurément "l’esprit The CW".
Musiker apparaît dans un camp de SDF... où elle se fait immédiatement braquer. Mais évidemment, elle démolit aussi sec l’agresseur, puis fait disparaître son arme à feu, et lui pique tranquillement tout son fric.
Les deux héroïnes se retrouvent bien vite, puis en se faisant passer pour un couple fiancé (à l’initiative de Seven mais au plus grand plaisir de Raffi), elles réussissent à atteindre le sommet de la Markridge Industrial Tower où leur tricorder repère un mystérieux signal éphémère et transitoire...
Quant à Rios, il se matérialise plusieurs mètres au-dessus du sol, ce qui lui vaut une chute violente et de la casse. Il est alors transporté dans un dispensaire tenu par une jeune et jolie doctoresse latino, Teresa Ramirez, qui n’attendait que lui. Plus cliché, on peut pas ! De nationalité étatsunienne, mère célibataire (ou plutôt divorcée) du jeune Ricardo, elle vient en aide aux immigrés clandestins affreusement traqués par la méchante police migratoire.
En l’absence de carte d’identité dûment tamponnée (mais à quoi servent les synthétiseurs de La Sirena ?) et du fait de son hispanophonie très marquée, Cristóbal est lui-même pris pour un latino sans papier… et finalement embarqué par les autorités pour s’être fait passer pour un médecin en blouse (afin d’aider Teresa lors d’une descente de police). Ce qui l’empêchera de recevoir l’appel de Picard sur son combadge abandonné dans l’antenne médicale...
Il est frappant que les trois protagonistes "en détachement" sur Los Angeles n’aient pas mis plus de quelques minutes pour interférer sciemment – et lourdement – dans le champ causal, dont l’effet papillon pourrait les éloigner définitivement de la timeline qu’ils s’échinent pourtant à restaurer. Autant les héros ne peuvent être tenus comptables d’interactions qui échappent à leur contrôle, autant lorsque Raffi joue les vigilantes vénales et quand Rios joue au médecin (pour épater la belle Teresa), la série s’enfonce dans le nawak décomplexé (cas bien différent de celui de ST IV The Voyage Home qui tenait du paradoxe de prédestination...).
Mais il faut dire que le degré d’irresponsabilité et d’incontinence des protagonistes se dévoilait déjà au travers des "leçons temporelles" élémentaires (et finalement non respectées) que Picard et Jurati en étaient réduits non sans mal à leur dispenser en amont (à bord de La Sirena). Le voyage temporel est officiellement connu de l’UFP depuis 140 ans, sa mécanique et ses propriétés sont académiquement enseignées, Rios et Musiker sont supposés diplômés de Starfleet Academy, l’expérience de Seven va bien au-delà de la théorie (e.g. ST VOY 05x25 Relativity)… et pourtant, iceux ignorent visiblement ce que le commun des amateurs de SF sait parfaitement aujourd’hui. Idiocratie, quand tu nous tiens…
En outre, pourquoi est-ce que le Markridge Industrial Tower est présenté comme le point culminant de L.A. en 2024... alors que ce gratte-ciel n’existe pas en 2022 et que les scènes ont été tournées au Wilshire Grand Center (que tout familier de la côté ouest reconnaîtra aisément). Ce qui est certain en revanche, c’est le Markridge Group est une compagnie de biotech fondée par Marco C dans la série 12 Monkeys de Terry Matalas... qui aime visiblement s’autoréférencer (dans cet esprit, le Watcher n’est-il pas une clin d’œil au Witness que furent successivement Athan Cole puis Olivia Kirschner dans 12 Monkeys).
De même, au-delà de l’effet de contraste inégalitaire limite kafkaïen (car surplombant le terrain de SDF) et du clin d’œil fan-service (parmi tant d’autres) à la devise trekkienne, pourquoi avoir exhibé des affiches publicitaires « The Europa Mission, to boldly go / The New interplanetary explorer » ? Déjà que ce n’est pas demain la veille que les êtres humains iront sur Mars, mais alors un voyage vers Europa (une des lunes de Jupiter) n’est clairement pas pour 2024 ni les années suivantes.
Visiblement, l’épisode situe délibérément le point d’arrivée du voyage temporel des héros de Picard dans une autre réalité que la nôtre. N’est-ce pas une forme de dérobade ou de lâcheté étant donné les prétentions lourdement moralisantes de la série qui se dessinent déjà dans Picard 02x03 Assimilation et qui vont certainement aller s’accentuant dans les prochains opus ?
En dépit de forte réticence de Jean-Luc, Agnes imposera sa stratégie consistant à se faire temporairement (et donc partiellement) assimiler afin d’établir une connexion mentale avec la souveraine borg pour lui soutirer ses secret (sur l’origine de l’inflexion temporelle et le Watcher).
Picard "plugge" donc en filaire Jurati à la reine… pour une séance de "possession" assez spectaculaire, ou la cybernéticienne endurera une progressive perte d’identité, posant notamment un regard extérieur et sans ambages sur elle-même. Une séquence troublante convoquant même parfois de mémorables épisodes de Steven Moffat (par exemple Doctor Who 30x10 Midnight).
Une fois de plus, Alison Pill dévoilera ici tout son talent, au point de pas mal dominer le reste du cast... Malheureusement, par-delà la performance d’actrice, l’exercice restera outrageusement autocentré (une exploration des seuls ressentis et nombrilismes comme dans Discovery). Et sa complaisance dans le rapport à l’assimilation borg (que Jurati réussit à contrôler et même à contrer par sa seule volonté) ne respecte aucunement ce que le Star Trek historique avait établi à l’endroit des Borgs. Un tel luxe introspectif, permettant à une humaine (et non pas e.g. à un Denobulan comme dans ST ENT 02x23 Regeneration) de naviguer à loisir dans le collectif (par elle-même et sans technologie futuriste d’immunisation comme dans ST VOY 07x25+07x26 Endgame) et même dans la psyché de la reine au point de lui subtiliser ni vu ni connu des informations (en la circonstance les coordonnées du Watcher), c’est soit du bullshit, soit un pur retcon. Un de plus, et un énorme !
La lantern de faire assumer à la reine elle-même ce parti pris dans les dialogues ne le rend pas plus crédible, mais renforce simplement le viol internaliste. Tandis que l’héroïne est glorifiée en faisant encore plus fort que la deus ex machina Burnham (Jurati se voit ainsi adoubée par la reine elle-même qui se déclare verbatim "impressionnée" par elle), le péril borg est en retour normalisé au prix d’un enfumage typiquement kurtzmanien... où l’initiatique, l’émotionnel et le feel good diluent toute axiologie. C’est tout juste si le spectateur n’éprouve pas de la "sympathie" ou de l’estime pour la reine dans le rôle improbable de maitresse initiatique (ou Yoda) dont Agnes serait la plus brillante élève (ou Padawan) !
Au passage, la reine reconnait en Jean-Luc... Locutus... alors qu’elle ne vient pas d’une timeline où ce dernier existait ! L’objectif est donc également de transformer vraiment la souveraine borg en une figure méta-omnisciente à l’échelle non pas seulement de l’univers mais des multivers... avec cependant pour effet secondaire de les réduire eux aussi à des micro-vers.
L’épisode est titré Assimilation... Mais l’assimilation de qui par qui ? De Jurati par la reine ou de la reine par Jurati ?
La série Picard aurait-elle l’intention de faire passer la souveraine borg à la même "casserole" (faussement transgressive mais authentiquement manipulatoire) que l’impératrice Philippa Georgiou du Terran Empire dans Discovery ? À savoir transformer les pires super-Hitler galactiques (bien au-delà de toute rédemption et de tout point Godwin) en "bonnes copines" sympas ?
Qu’il s’agisse d’Alison Pill, des autres comédiens, et même de la nouvelle venue Sol Rodriguez (pourtant ex-actrice de telenovelas), tout concourt à accentuer en contraste la relative "sénilité" de Patrick Stewart... qui risque bientôt de devenir un simple figurant dans la série qui porte son nom. Quelle déchéance après avoir été le plus solide acteur de la franchise, après lui avoir offert (avec Spock) l’un de ses deux personnages les plus cultes, la boussole et le phare du Star Trek historique, l’homo-startrekus incarné...
Conclusion
Bref, l’espoir suscité par Picard 02x01 The Star Gazer est presque définitivement douché. Le supposé "miracle" était bien un mirage (de plus). Le "naturel kurtzmanien" revient déjà au galop, les simplismes des teen shows se bousculent au portillon, et la sensation de fake l’emporte (à nouveau).
Avec sa pyramide de Ponzi, avec son perpétuel jeu de piste ou géocaching, avec sa mystery box abramsienne en constante reconfiguration, avec ses MacGuffins interchangeables (le Watcher occupant la même fonction motrice dans la seconde saison que Bruce Maddox au début de la première)... le schéma involutif de la première saison de Picard est bien parti pour se réitérer dans la seconde, inéluctablement, implacablement... telle une malédiction, une fatalité, une boucle temporelle, un disque rayé…
Le plus frustrant peut-être pour le spectateur dans Picard 02x03 Assimilation, c’est qu’à aucun moment ces personnages venus d’un futur prétendument trekkien ne font l’effet d’être dépaysés par leur arrivée à "notre" époque. Tout le sel (et le sens) des morceaux d’anthologie ST TOS 01x28 The City On The Edge Of Forever, ST IV The Voyage Home, ST TNG 05x26+06x01 Time’s Arrow, ST DS9 03x11+03x12 Past Tense, ST VOY 03x08+03x09 Future’s End, ST ENT 03x11 Carpenter Street, résidait dans le considérable écart – tragique, humoristique, idéaliste, sublimant selon les cas – entre la société de provenance (trekkienne) et la société d’échouage (qui se trouvait être la nôtre). Les trekkers faisaient alors l’expérience – à la fois ineffable et jouissive – de redécouvrir notre monde (modulo un écart temporel plus ou moins important) par le prisme de la plus enrichissante des altérités, c’est-à-dire à travers les yeux des ambassadeurs ou des parangons de l’idéalisme trekkien, matérialisant ainsi l’ambition de Star Trek : parler, non pas de notre époque, mais à notre époque !
Or absolument rien de tel ici, si ce n’est une infinie fadeur Les quelques truismes alignés par l’épisode (et délivrés à la truelle) sur les inégalités sociales, la difficile condition des immigrés clandestins, et le réchauffement climatique renvoient davantage à l’enfonçage de portes ouvertes de n’importe quel journal télévisé de CNN... et non à ce regard unique – impertinent et distancié – que seul permet la (vraie) SF. Chose impensable il y encore quelques années, même une aussi médiocre série (ou saison) que Battlestar Galactica 1980 réussissait paradoxalement à être plus dépaysante et moins convenue dans son regard sur l’humanité d’aujourd’hui...
Ce qui n’a finalement rien d’étonnant, car le système Kurtzman paye ici treize ans de profonde trivialisation et "contemporanisation" de l’utopie trekkienne (jusqu’aux idiosyncrasies les plus clichées et les tics de langage les plus vulgaires). Depuis ST 2009, et davantage encore depuis les lancements de ST Discovery et ST Picard, la Fédération revue et corrigée par Secret Hideout, c’est devenu simplement les USA, mais avec bien davantage de cynisme et d’avancées technologiques. Faut-il alors s’étonner qu’un retour dans le temps de 400 ans ne fasse pas conceptuellement plus d’effet que de traverser la rue ?
Une "facture" psycho-narrative qui risque d’être salée pour le public sachant que débute une saison entière prétendant servir un vrai-faux voyage dans le passé caractérisé par un surplace épistémologique, une stagnation évolutionniste, et une overdose de moraline.
Alors certes, Picard 02x03 Assimilation demeure regardable... aux normes des serials d’il y a presque un siècle. Vaguement divertissant en écriture automatique (calibrée comme du McDo), illusoirement "conscientisé", sémantiquement stérile, et totalement invraisemblable.
Note Star Trek
Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité