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Fragments brisés
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Critique
Par Frank Mikanowski

Si nous ne sommes pas encore tout à fait à la fin de la saison, j’éprouve le besoin au début de la critique de cet épisode de vous proposer une réflexion plus générale. Plus j’avance dans le visionnage de cette première saison de Star Trek Picard, plus je me dis que cette incarnation du Star Trek version Kurtzman a les défauts de ses qualités et les qualités de ses défauts.
Star Trek Picard n’est effectivement malheureusement pas sans failles. Comme Discovery, la série est malheureusement sérialisé, soit une histoire unique en une dizaine d’épisodes. C’est pour moi, au-delà de la qualité ou pas des équipes de Kurtzman, ce qui fait que ce n’est et ce ne sera jamais un Star Trek tel qu’on le connaissait sous l’ère Roddenberry / Berman.
Le sérial oblige une série à proposer des rebondissements forts ainsi qu’à développer à l’extrême les relations entre les personnages. Ainsi, cette semaine, les liens surprises entre Narissa et Ramdha puis entre Rios et Soji, la vision d’une Seven of Nine en quasi Reine Borg sont les enfants de cette sérialisation. D’un pur point de vue trekkien, c’est juste une aberration. Mais pour ce type de série, celle qui est majoritaire aujourd’hui sur toutes les chaînes et services de streaming, c’est juste la marche normale. D’un coté, c’est un défaut, dans l’autre, c’est une qualité.
Dans le même temps, la série cherche à légitimer son héritage. C’est le but des tunnels de dialogue entre Picard et Agnes, Picard et l’Amiral Clancy, Raffi et Rios et enfin entre Agnes et Soji.. Ces dialogues, et ce qui peut en ressortir en terme de réflexion sur les personnages ou sur les problématiques sont une qualité pour un Star Trek. Et bien entendu, en miroir, cela ralenti tellement l’action que c’est une absurdité pour un sérial. Le problème de Star Trek Picard tient au fait que Star Trek et Sérial, c’est matière vs anti-matière. Ca ne fonctionne pas.
Je me rends compte que j’ai une appréhension en définitive plutôt positive de la série sur un ensemble de critères qui ne tient pas compte de ces qualités/défauts en miroir. J’aime ce que me propose le cast. Oui, c’est fascinant d’observer le jeu de Patrick Stewart. J’adore Raffi, un personnage certes too much, mais à qui Michelle Hurd donne une âme. Les scènes de Raffi avec les multiples Rios holographiques ne servent sans doute pas à grand chose, mais c’est fun et très agréable à regarder.
Visuellement, je pense que la série est à des années-lumières meilleure que l’inutilement clinquante Discovery. De l’atmosphère du cube Borg, de l’utilisation d’interfaces holographiques, de la sobriété de l’intérieur du Sirena, c’est impeccablement produit.
Et que dire de la scène d’introduction sur la planète Aia qui possède une puissance visuelle et sensorielle que j’ai sur-kiffée...
Je prends toujours beaucoup de plaisir à lire les textes d’Yves, et je vois bien qu’une majorité des lecteurs, qui prend le temps de commenter nos articles, d’épisodes en épisodes, se range à ses arguments. Pour ma part, si je comprends sans aucun problème l’ensemble des opinions que je peux y lire, j’aimerais bien savoir si c’est l’opinion de la majorité de nos milliers de lecteurs qui eux, ne commentent pas.

Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité

Analyse
Par Yves Raducka

Picard 01x08 Broken Pieces débute par un nouveau flashback, il y a 14 ans, mais cette fois juste avant l’attaque sur Mars, et prenant place loin dans l’espace, dans un système stellaire à huit étoiles (dont une géante bleue), et sur une planète nommée : "Aia, the grief world" (Aia, le monde de la peine). Dix femmes romuliennes, et parmi elles, Narissa et Ramdha, vêtues de noir, se déploient autour d’un artefact lumineux en forme d’autel octogonal à six pieds, et s’apprêtent à se soumettre à une épreuve mentale, sous l’homélie d’une "grande prêtresse", qui s’avère être Oh. Telle est sa proclamation, tel est son credo :
- [Oh] Nos aïeules sont venues dans ce système pour chercher une réponse à l’énigme des Étoiles octuples. Elles ont trouvé un entrepôt de souvenirs préservés qui leur a montré le destin sinistre de la civilisation qui a péri ici il y a longtemps. On ignore encore le nom de la race toute-puissante qui a laissé derrière elle cet objet, cette Admonition, nous mettant en garde contre l’horreur venue des cieux. La première fois que nos aïeules ont enduré l’Admonition, nous, le Zhat Vash, nous sommes nées. Depuis, nous avons travaillé dans l’ombre durant des centaines d’années pour empêcher la deuxième venue des Destroyers. C’est cette tâche redoutée que vous devez à présent mener. Ce que vous allez expérimenter rendra folles certaines d’entre vous. Mais celles qui l’endureront seront plus fortes. Soyez témoins de la dévastation qui doit être empêchée. Endurez l’Admonition... si vous le pouvez.

Toutes placent alors leurs mains dans les rayons lumineux de l’autel et sont mentalement transpercées par la même séquence audiovisuelle apocalyptique que Oh avait transmise par Mind Meld à Agnes Jurati dans le flashback du teaser de Picard 01x07 Nepenthe. À ceci près que celle-ci intègre également un morphing allant d’un visage ressemblant étrangement à celui d’Airiam (l’humaine cybernétiquement améliorée de Discovery... vers Data.
Au terme de cette Admonition, les catéchumènes sont violemment expulsées de l’autel… en hurlant « Plus jamais ! »… avant de se suicider les unes après les autres (coup de disrupteur dans la tempe, pierre fracassée sur le crâne, automutilation des yeux, arrachage de cheveux, etc.), et s’effondrent au sol comme des mouches.
Seules survivront Oh (qui ne s’est pas soumise à l’épreuve mais qui l’avait déjà surmontée auparavant), Narissa qui en sort indemne et sereine, et Ramdha, lourdement éprouvée mentalement.
- [Narissa] On doit les arrêter.
- [Oh] On le fera.
- Comment ? Où commençons-nous ?
- Sur le monde que les humains nomment Mars.
- [Oh aide Ramdha à se relever] Tantine ? Tantine ?
- [Ramdha, sous le choc] Je ne peux plus.
- [Narissa] On a notre travail à faire.

Retour au "présent" (2399), dans l’Artefact. Narissa est au chevet de Ramdha, alitée, et lui tient la main.
- [Narissa] Docteur Kabath dit qu’il n’y a pas de raison médicale pour ça, tantine. Je crois que tu feins d’être malade. Tu n’as jamais été saine d’esprit de toute façon, n’est-ce pas ? C’était insensé de nous recueillir Narek et moi à la mort de nos parents. Et pure folie de te soumettre à l’Admonition. Cependant, quand tu as perdu l’esprit, tu l’as fait avec panache. En brisant le Cube Borg par la seule force de ton désespoir. Le Collectif a choisi le mauvais vaisseau Tal Shiar à assimiler. Ils auraient dû choisir le mien. J’aurais fait une bien meilleure Borg que toi. "La résistance est futile." Narek a localisé le nid des Synthétiques. J’ai envoyé des vaisseaux. Je les rejoindrai dès que j’aurai fermé cette maison de l’horreur. Si tu te réveilles... tu pourras venir aussi. On a notre travail à faire.

Cette scène d’ouverture d’environ cinq minutes représente à elle seule le nexus sur lequel repose l’intégralité de l’intrigue de ST Picard depuis son lancement ! À la façon d’une martingale cosmopolite de synthèse, elle est supposée expliquer tout ce qui a été dit, montré, ou sous-entendu ! L’idée porteuse tenait sur un ticket de métro (ou presque), et toute une série a été bâtie dessus.
Admirez l’artiste :
- La Fédération et Starfleet sont devenus dystopiques - Admonition et Zhat Vash via Oh ;
- La Fédération a abandonné le peuple romulien à l’extermination de la supernova - Admonition et Zhat Vash via Oh ;
- La Fédération a interdit et exterminé les Synthétiques - Admonition et Zhat Vash via Oh (prétendument pour protéger le futur) ;
- Starfleet est devenu dystopique et Picard a démissionné - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Raffi Musiker, ses théories conspirationnistes, et sa marginalisation sociale - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Chris Rios, son trauma, son exclusion de Starfleet - Admonition et Zhat Vash via Oh (comme la suite de l’épisode le montrera)
- Ramdha est folle et prophétique, au point d’avoir déconnecté un Cube borg entier du Collectif par son seul mental - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Le Cube devenu Artefact, le Borg Reclamation Project - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Narissa est méchante - Admonition et Zhat Vash via Oh
- La quête du MacGuffin temporaire Bruce Maddox - Admonition et Zhat Vash via Oh
- L’assujettissement mental de la candide Agnes Jurati et sa transformation en meurtrière pour la "cause" - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Le meurtre de Bruce Maddox - Admonition et Zhat Vash via Oh
- Le meurtre de Hugh - Admonition et Zhat Vash via Narissa
- Le meurtre de Dahj - Admonition et Zhat Vash via Narissa
- Soji serait le Destroyer - Admonition et Zhat Vash via Ramdha
- La tentative de meurtre et la traque de Soji - Admonition et Zhat Vash via Narissa
- La menace sur la planète des androïdes - Admonition et Zhat Vash via Oh et Narissa
- La victoire de Donald Trump… euh… ne nous égarons pas…

Bref, c’est magnifique. ST Picard a réinventé le concept infantile, primaire, et 100% fantasy (ou parodique) de la causalité unique à tous les problèmes de l’existence et de l’univers. L’Admonition est presque le nombre 42 de la série.
Tout en renouant avec l’insondable trou noir archéo-hiérato-nébulo-prophético-comploteur autour duquel gravitait l’épouvantable série Alias : Milo Giacomo Rambaldi !
Cela avait commencé avec la Red Matter rambaldienne dont était sortie la timeline de Kelvin en 2009… Et ça continue avec l’Admonition non moins rambaldienne en 2020 dans la série Picard.
Soit l’anti-Star Trek dans sa forme la plus pure.

En revanche, comme toujours de nombreux autres univers sont convoqués au festival des emprunts branchouilles.

Quitte à faire dans le même name dropping que celui qu’affectionne tant ST Picard, il n’est pas possible de ne pas remarquer le parallèle flagrant avec le Cycle de Dune de Frank Herbert. On y retrouve l’Imperium, les mêmes schémas, mais ultra-simplifiés, et redistribués différemment.
Si le Qowat Milat (exclusivement féminin) correspondait au Bene Gesserit, les Zhat Vash (également exclusivement féminin, c’est décidément très tendance) seraient leurs ennemies jurées i.e. les Honorées Matriarches ; les Fenris Rangers les Sardaukar, et les Borgs (ou plutôt ce qu’il en reste avec les xBs) les Bene Tleilax.
La civilisation créatrice du Conclave Of Height et de l’Admonition correspondrait en quelque sorte au vestige du Jihad butlérien, avec pour conséquence la proscription (ou la volonté de proscrire) toute IA et toute machine pensante.
Quant à l’épreuve elle-même de la soumisse à l’Admonition, tant par sa sélection naturelle que par ses tragiques effets, c’est ni plus ni moins le Gom Jabbar.

L’autel octogonal renverrait au portail de la saga SF horrifique Phantasm (et notamment son quatrième volet) de Don Coscarelli.

Le Conclave des Huit évoqué depuis Picard 01x05 Stardust City Rag, et empruntant pesamment au vocabulaire à la fois occultiste et religieux, désigne en réalité (comme le confirmera la suite de l’épisode) un système solaire octonaire (à huit étoiles) créé artificiellement par l’ancienne civilisation ayant laissé derrière elle l’avertissement de l’Admonition... oscillant entre une propagande directement injectée dans le cerveau par voie de virus télépathique (que n’aurait pas renié un Joseph Goebbels)... et une forme de prosélytisme forcé qui oblige à croire/adhérer à la cause ou à se suicider.

Le rituel en lui-même pratiqué par le Zhat Vash véhicule un puissant connoté druidique… tel que redigéré par la fantasy New Age féministe, entre Diana Gabaldon et Marion Zimmer Bradley...

La présence de Data (évoluant par morphing depuis une cousine d’Airiam) dans un message enregistré il y a 200 000 ans suggère soit l’implication d’une mécanique temporelle (de SF), soit un pouvoir de précognition (de fantasy)... soit une palingénésie cosmique (telle une loi naturelle qui hybriderait SF et fantasy).

Le prophétique ou systémique « second coming of the Destroyers » suggère lui-même une palingénésie des "apocalypses IA". Comment alors ne pas songer à l’apophtegme de Battlestar Galactica 2003, avec une histoire tragique appelée à se répéter : « All of this has happened before, and will happen again ».

Davantage encore, la cyclicité du phénomène évoque, non pas les Wraiths de Stargate Atlantis, mais les Reapers (Moissonneurs en VF) qui viennent moissonner les civilisations organiques les plus avancées tous les 500 000 ans dans l’univers de Mass Effect créé par Drew Karpyshyn. Cette incontournable saga de gaming avait déjà été grossièrement plagiée (pour le pire) par la série Discovery, mais Picard bascule désormais dans le copié-collé le plus décomplexé.
Ainsi, l’espèce inconnue, ancienne et puissante, ayant laissé l’avertissement à la postérité... correspond aux Prothéens.
L’Admonition (qui rend fou) renvoie à un Artefact prothéen (celui d’Eden Prime) – la scène de vision étant d’ailleurs presque un plan pour plan de celle de Mass Effect !
Le Zhat Vash s’identifie à l’organisation Cerberus.
Bruce Maddox (et son ambition sans borne) s’apparente aux Léviathans.
Les Synthétiques correspondent au Catalyseur qui contrôle les Moissonneurs.
La fin de cycle annoncée parallélise le temps de la "Moisson".
Le retour de Seb Chebeb le destructeur, c’est tout simplement l’arrivée du Sovereign.
Et Picard suivra probablement les pas du Commandant Shepard qui s’emploie à rallier vie biotique et vie synthétique.
La grandiloquence du credo du Zhat Vash ainsi que le message indicible de l’Admonition pourrait convoquer en creux une autre grandiloquence, en inversant simplement la perspective (encore que...) : « Créatures rudimentaires de sang et de chair. Vous touchez mon esprit, tâtonnant dans l’ignorance, incapable de comprendre. Il y a un domaine d’existence tellement au-delà du vôtre que vous ne pouvez même pas l’imaginer. Je dépasse votre compréhension. La vie organique n’est rien d’autre qu’une mutation génétique, un accident. Votre vie se mesure en années et en décennies. Vous vous flétrissez et vous mourrez. Nous sommes éternels. L’apothéose de l’évolution et de l’existence. Devant nous, vous n’êtes rien. Votre extinction est inévitable. Nous sommes la fin de tout. Le cycle ne peut pas être rompu. Ce schéma s’est répété davantage de fois que vous ne pouvez l’imaginer. Les civilisations organiques s’élèvent, évoluent, avancent. Et au sommet de leur gloire, elles s’éteignent. Vos mots sont aussi vides que votre avenir. » (Message de Sovereign, le vaisseau porte-drapeau du Spectre Saren Arterius)

Dans le chapitre des grandiloquences de la grande Révélation cosmique du jour, l’annonce d’anéantissements à des échelles planétaires par la vie artificielle est-elle fondamentalement plus traumatisante et tragique que l’anéantissement à des échelles planétaires (aussi) par des supernovas. Parce que pour les milliards de victimes, ce n’est pas fondamentalement différent.
Sauf que les Honorées Matriarches du Zhat Vash considèrent que l’un est un enfer méritant de devenir fou ou de se suicider, tandis que l’autre n’a aucune importance. Elles qui se disent actives depuis des siècles ont un bien curieux sens du timing : organiser une attaque de Mars sous fausse bannière pour provoquer l’interdiction de toutes les vies synthétiques par l’UFP… mais en compromettant par la même occasion le sauvetage de la plupart de leurs compatriotes romuliens dans des conditions à peu près aussi abjectes que celles qu’elles prétendent vouloir éviter par n’importe quel moyen.
Pourquoi ne pas avoir attendu l’évacuation de Romulus pour organiser cette attaque ? Ce n’est pas comme si le Zhat Vash n’avait pas déjà des siècle d’existence...
Et si le besoin était soudain si pressant, pourquoi n’avoir pas plutôt téléguidé des Synthétiques pour attaquer un des nombreux autres mondes de l’UFP mais qui ne compromette pas pour autant les chantiers navals nécessaires à l’évacuation de Romulus ?
C’est fou la logique qui irrigue les personnages, bons ou mauvais, de la série ST Picard…

Et déjà, exactement selon le même mécanisme que les fins de saisons de Discovery, les prétendues "résolutions" des pay-off engendrent davantage de (nouvelles) incohérences qu’elles n’en résolvent d’anciennes. Et cela à la seule échelle des quelques épisodes de la série, avant même de convoquer les quarante années de STU historique (1964-2005).
Voici la première d’une liste qui promet d’être interminable… En situant en 2385 l’initiation de Ramdha à la folie de l’Admonition – ou (pour être plus scientifique) sa contamination au virus télépathique –, Picard 01x08 Broken Pieces réduit à 14 ans ou moins l’antériorité (par rapport au "présent" de 2399) son assimilation par les Borgs lorsqu’elle était passagère du vaisseau éclaireur impérial Shaenor. Or comme Ramdha devint un drone borg sur le Cube qui aura été ensuite expulsé du Collectif par les Borgs (avant d’être récupéré par les Romuliens sous le qualificatif d’Artefact dans le cadre du Borg Reclamation Project), l’enchainement et la chronologie des événements résultant de ce huitième épisode entre directement en contradiction avec ce qu’avait montré le second (Picard 01x02 Maps And Legends), à savoir le nombre de jours (5843) sans assimilation qui était ostensiblement affiché dans le hall d’accueil durant le speech de bienvenue pour tous les scientifiques non-romuliens accueillis dans le programme. Or 5843 jours correspondent précisément (au jour près) à 16 années terrestres (chiffres terriens et multiple trop parfait pour envisager des années non-terrestres), ce qui implique que Ramdha avait été forcément assimilée 16 ans ou davantage avant 2399 (et non 14 ans ou moins).
De surcroît, ces 16+ ans étaient compatibles avec les 21 ans depuis lesquels le Collectif Borg n’était plus supposé exister (suite aux événements de VOY 07x25+07x26 Endgame), tandis que la chronologie distincte introduite par Picard 01x08 Broken Pieces implique une assimilation par le Collectif Borg il y a 14- ans, rendant ST Picard largement incompatible avec les conclusions de VOY.
Une incompatibilité renforcée par l’imputation officielle de la "libération" du Cube au seul virus mental/télépathique des "Grand Anciens" dont était porteur le cerveau de Ramdha, excluant alors du champ des causalités la victoire des deux Janeway sur les Borgs. Ce qui revient à nier dans la diégèse actuelle l’une des principales réussites de VOY... alors que cette dernière semblait entérinée en creux dans les premiers épisodes de ST Picard.
L’intégration internaliste aux premiers épisodes de Picard mais aussi à la fin de VOY n’a donc fait que se dégrader à la faveur des pseudo-explications de fin de saison, témoignant d’une écriture contreproductive et d’une navigation à vue. Les showrunners sont-ils seulement capables de développer une seule saison qui tienne debout, ne fût-ce que par rapport à elle-même ?
Accessoirement, en révélant que Narissa et Ramdha sont parentes (nièce et tante), l’épisode Picard 01x08 Broken Pieces devient la parodie soapesque de lui-même.

Toujours à bord de l’Artefact :
- [Narissa via son oreillettes et les com] Dites-moi que vous avez trouvé le monstre.
- [Personnel romulien de l’Artefact] Oui, colonel. On l’a suivi jusqu’au bureau de l’ancien directeur du Projet de récupération.
Largement effrayé, Elnor se cache dans le Cube. Une grenade sonique est lancée par des agents romuliens qui l’assaillent, et après un affrontement musclé où il fait mine de prendre le dessus, il est maîtrisé par les Romuliens. Et soudain, Seven débarque, seule, telle Lara Croft, et elle descend aux phasers plusieurs gardes… ce qui permet à Elnor de reprendre le dessus à l’épée :
- [Seven] Où est Hugh ? Que se passe-t-il sur ce Cube ? [Elnor la serre alors dans ses bras comme s’il accueillait la providence] D’accord. Je suis là. Tout va bien.

Lorsque la série l’avait laissée sur Picard 01x05 Stardust City Rag, Seven affrontait seule une armée privée sur Freecloud. Elle a visiblement dû s’en sortir sans une égratignure puisque script ne considère même pas utile de s’y attarder… tout comme il apparaît naturel que Seven prenne d’assaut toute seule le Cube sous contrôle romulien. Il est donc désormais entendu que Seven est une super-héroïne dans la lignée de Wonder Woman, elle disparaît et apparaît comme par magie dans les sitations les plus invraisemblables sans qu’aucune explication ne soit même nécessaire.

Narissa suit le sillage des cadavres laissés par Elnor et Seven :
- [Narissa] Tué par un phaseur. Le gars a un complice.
- [Annonce dans les haut-parleurs] Les sous-vecteurs gamma 8.1117 sont actuellement en bouclage sécurisé.
- [Narissa découvre l’émetteur qu’Elnor a commodément laissé dans les décombres] Fenris Rangers. Et ce n’est pas difficile d’imaginer laquelle.

L’émetteur n’était donc pas celui de Picard, mais de Hugh en fait. Car Seven s’imaginait que c’était Hugh qui l’avait appelée à la rescousse. Ce qui signifie qu’ils se connaissaient déjà, et s’appréciaient suffisamment pour que Seven lui laisse de quoi appeler à l’aide les super-Vigilante de l’espace.
Les réactions de Narissa font penser au comportement de la pègre dans les films écrits par Michel Audiard : en gros, tout le monde se connait dans le "petit univers kurtzmanien", et il suffit que Narissa voit le logo de Fenris pour immédiatement penser à la cador Seven.

Seven et Elnor entrent dans la cellule de la reine (queencell) (déjà dévoilée par feu Hugh dans le sixième épisode) :
- [Seven] Pourquoi vous n’êtes pas parti avec eux ?
- [Elnor] Picard m’a libéré. J’ai trouvé une cause encore plus perdue que la sienne. C’est ici que la reine Borg vivait ?
- Non.
- Elle venait en visite, parfois ?
- Je peux l’expliquer ou je peux voler ce Cube.
Seven fait alors apparaître de complexe schémas holographiques 3D qu’elle manipule comme un jeu Xbox via l’interface Kinect. Elle en sort un module holographique plus petit qu’elle "active" et celui-ci s’échappe par le plafond…

Le mantra de la cause perdue des Qowat Milat, du moins d’Elnor, est de plus en plus vide de substance, tant il frise désormais la caricature des Anla’shocks minbaris de Babylon 5 en s’abimant dans une forme vaniteuse (et stérile) de suicide ritualisé. Impression renforcée par le manque de fiabilité sur le terrain du superhéros bretteur...

Il est bien curieux que d’aussi semblables interfaces holographiques se soient développées à la fois sur de "vieux" Cubes borgs sevrés du Collectif depuis plus d’une décennie (années 2380), sur les vaisseaux de Starfleet les plus récents (2399)... et aussi sur les vaisseau Starfleet dix ans avant TOS... c’est-à-dire au mépris de toute causalité intradiégétique.
Encore une influence externaliste au total mépris de la vraisemblance internaliste. Mais ce suivisme envers les modes éphémères actuelles (le "tout holographique" et le "tout écran translucide") est très préjudiciable à la crédibilité de œuvres de SF, alors que les interfaces tactiles voire organiques et les écrans opaques employées dans les Star Trek historiques étaient incomparablement plus crédibles.
De nombreux tests contemporains réalisés dans le secteur du pilotage aéronautique (ainsi que dans le gaming) ont clairement établi que des telles interfaces holo/3D n’auraient aucune viabilité opérationnelle : un grand manque de précision et une fatigue musculaire considérable. Le destin du Kinect pour Xbox fut d’ailleurs éloquent. Quant aux écrans translucides, ils réduisent considérablement la visibilité et les contrastes (pourtant déterminants pour des opérations de précision) tout en constituant une atteinte à la vie privée.
Bref, un nawak intégral en terme de concepts. Mais Alex Kurtman semble préférer le conformisme du "cool" le plus décervelé... à une quelconque réflexion sur la construction crédible d’un futur fonctionnel.
Parfaitement emblématique de tous les choix artistiques depuis 2009.

Ailleurs dans le Cube :
- [Narissa] Que diable se passe-t-il ?
- [Officier romulien] Le Cube. Il semble être... Je dirais presque qu’il se régénère.
- On doit se débarrasser immédiatement de chaque Borg détenu en stase. Peuvent-ils être gazés ? Électrocutés ?
- On peut faire sauter les trappes et les propulser dans l’espace.
- [Narissa avec gourmandise] J’aime cette idée. Occupez-vous-en.
- Oui, colonel. [Et l’officier romulien s’exécute et s’en va]
- Je vais commencer par les xBs. J’aurai besoin de celui-là aussi. Venez. [Elle prend l’arme à la ceinture du xBs qui l’accompagne et lui fait signe de la suivre]

On ne rate décidément jamais une occasion de nous montrer à quel point Narissa est méchante pour le seul plaisir de l’être. Elle jouit littéralement d’un orgasme utéro-annexiel à la perspective d’assassiner de la pire façon possible les drones borgs et aussi les xBs.
Visiblement, les tentatives du teaser de conférer à Narissa de la substance, de la nuance et de la profondeur, d’en faire la victime du "virus mental" des "grands Anciens" du Conclave des Huit, voire de lui apporter une "cause" potentiellement altruiste (puisque soi-disant pour le salut des êtres organiques de l’univers contre la pseudo-menace synthétique)... sont immédiatement néantisés par la caricature des dialogues et de l’interprétation ! C’était pourtant l’occasion de faire sortir le pire personnage de la série du manichéisme monodimensionnel et autoparodique dans lequel il (enfin elle) se complait. Dommage, mais on ne se refait pas dans le ST kurtzmanien...

À l’extérieur de l’Artefact, le processus de régénération lancé par Seven s’exécute, et une myriade d’automates volants s’activent à la surface de la coque du gigantesque Cube, telle une fourmilière ou ruche en pleine effervescence. La scène est visuellement impressionnante, et pour une fois, les SFX sont à la mesure du pharamineux budget de la série.

Dans la queencell de l’Artefact, Seven continue à manipuler l’interface holographique :
- [Seven] Ce sont ceux qu’Hugh a récupérés. Il y en a des milliers de plus en stase.
- [Elnor] Réveillez-les.
- Ils seront inutiles, perdus sans la voix du Collectif. Je pourrais réactiver, reconnecter leurs émetteurs-récepteurs. Créer une sorte de micro-collectif des Borgs sur ce Cube. Coordonner leurs mouvements, les déployer contre les troupes romuliennes.
- [Elnor, naïf et inconscient] Ça semble incroyable. Faites ça.
- Les assimiler ? Envahir leurs esprits. Supprimer leurs identités. Les asservir... une fois de plus.
- Vous pourrez les libérer quand on gagnera.
- [Seven, très mal à l’aise, réticente et effrayée] Ils ne voudront pas être libérés, et je... Je ne voudrai peut-être pas les libérer.

Narissa marche avec détermination à bord du Cube romulano-borg, suivi de son xBs attitré. Puis sans crier gare, elle descend haineusement au disrupteur à bout portant tous les xBs (désarmés et pacifiques) qu’elle croise, et notamment tous ceux réunis dans un réfectoire. Narissa en mode Terminator T-X.
- [Narissa rend avec mépris au xB qui l’accompagne le disrupteur endommagé] Je crains d’avoir cassé votre pistolet. Que quelqu’un me donne une autre arme.
À l’intérieur du gigantesque Artefact qui semble s’animer de toute part et qui engendre une effervescence croissante.
- [Annonce dans les haut-parleurs] Ceci n’est pas un exercice de protocole. Si vous n’atteignez pas votre poste d’évac à temps, prenez immédiatement refuge et employez toutes les mesures... pour éviter la détection.
- [Narissa] Ils vous effraient ?
- [Centurion romulien Tarent] Je serais insensé s’ils ne m’effrayaient pas.
- Une chose bien pire est en chemin, Centurion... si j’échoue dans ma tâche.

Dans la queencell, Seven continue à manipuler par geste les schémas des interfaces holographiques…
- [Elnor] Les lumières s’éteignent. [Faisant référence aux nombreux points sur les diagrammes 3D] Est-ce que ce sont les signes de vie des Borgs ?
Finalement, Seven lance un processus, et pas n’importe lequel, celui qui permet de se transformer elle-même en reine borg. Comme dans Matrix, plusieurs câbles "animés" viennent se loger dans sa colonne vertébrale. Aussitôt ses yeux deviennent noirs puis laissent apparaître une reproduction miniature des hologrammes verts cubiques que Seven manipulaient juste avant.
- [Seven, avec la traditionnelle voix chorale du Collectif borg, se faisant entendre dans tout le Cube] Nous sommes le Borg. Nous sommes le Borg. Nous sommes le Borg. Nous sommes le Borg.
L’ensemble des drones en stases s’activent dans tout le Cube. Mais en réaction, Narissa ordonne l’expulsion (« Maintenant ») de tous les drones dans le vide spatial. La reine Borg Seven hurle alors de désespoir « Non ! Non ! Non ! »

Et tels des insectes, les drones sont expulsés par dizaines de milliers dans le cosmos. Le voisinage immédiat du Cube en devient noir… de corps.
Un génocide dans l’intention des auteurs, un de plus comme aime à les collectionner la série. Un génocide aussi dans l’intention de Narissa qui jouit à tuer…
Mais tout le monde semble avoir oublié que les drones Borgs pleinement transformés et assimilés survivent parfaitement dans le vide spatial (cf. la scène de sortie extravéhiculaire en combinaison dans ST First Contact).
Allez, on dira que les années de stase ont rendu les drones vulnérables au zéro absolu et à la pression nulle, et comme ça, les showrunners auront bien leur génocide quotidien... sous les applaudissements des fans énamourés de la série ST Picard.
Par ailleurs, comment Narissa a-t-elle pu mettre à exécution son extermination de masse alors qu’à ce moment-là, Seven-devenue-reine-Borg avait déjà pris le contrôle du vaisseau ?

Plusieurs vaisseaux sortent de distorsion autour du Cube borg.
- [Centurion Tarent] La flotte a les coordonnées du foyer planétaire synthétique. Ils partent maintenant.
- [Narissa] Tous les Borgs ont été largués ?
- Oui, colonel. Dans une heure, les xBs seront balayés et on sera prêts à embarquer.
- Mon vaisseau est prêt pour le départ ?
Et c’est alors que plusieurs xBs surgissent et éliminent Tarent. Narissa se rend finalement compte qu’elle est seule et cernée par de nombreux xBs désarmés. Elle tire alors au disrupteur dans le tas, mais finit pas être totalement submergée, et plaquée au sol comme par une foule de morts vivants dans The Walking Dead. Elle est lors téléportée sur l’un des nombreux vaisseaux Romuliens… qui sautent alors les uns après les autres en distorsion.

Comme sous la lame d’Elnor dans l’épisode précédent, la Grande Méchante aurait pu être éliminée à nouveau ici. Mais évidemment, elle se téléporte au bon moment...
Il faut bien que ST Picard conserve vivante son atout le plus cliché, que la révélation du teaser de celui-ci n’ont en rien bonifié.

Dans la queencell :
- [Seven, avec la voix de la reine borg] Ils sont partis. C’est fini. Le Cube est à nouveau en notre possession.
- [Elnor] Alors... allez-vous m’assimiler, maintenant ?
- [Après un moment d’hésitation à soutenir le regard noir inquiétant de la Reine] Annika a encore un travail à faire.
Et le Collectif relâche spontanément Seven, les câbles qui transperçaient son dos se détachent… au plus grand soulagement d’Elnor.

Bilan de toutes ces scènes à bord de l’Artefact : nulles et non avenues, contreproductives et même absurdes.

D’un côté, Seven qui avait visiblement les moyens de se téléporter librement à bord de l’Artefact en passant inaperçue, aurait pu en repartir aussi vite avec Elnor aussitôt après l’avoir retrouvée (et appris que Hugh était mort).
Mais elle a étrangement décidé rester à bord, engageant un processus de confrontation avec Narissa qui se sera soldé par l’extermination de tous les drones en stase (à supposer que les drones ne survivent plus dans l’espace comme dans ST First Contact).
L’objectif était clairement d’offrir aux trekkers une scène aussi vaine qu’inconséquente où Seven ne redeviendrait pas seulement un drone Borg, mais deviendrait carrément la reine Borg !
Or devenir reine Borg, cela représente une forme d’assimilation beaucoup plus profonde et extrême que celle du drone lambda, mais également irréversible (cf. First Contact). Sauf que ST Picard a décidé ne pas s’en préoccuper (plus simple évidemment).
De plus, Seven a passé quatre ans à bord de l’USS Voyager (et au-delà) à se débarrasser progressivement de ses implants, à réapprendre son humanité. Mais dans cet épisode-ci, hormis quelques appréhensions de pure forme, Seven franchit sans hésiter le pas de renier tout le parcours accompli dans les ST historiques.
Et alors qu’elle ne dispose plus des implants nécessaires pour une assimilation instantanée et complète (c’est-à-dire sans en passer par la chirurgie et/ou les nosondes borgues), elle réussit pourtant à s’interfacer comme reine borg en un claquement de doigt (via de très gros câbles, dans tous les sens du terme) pour créer un micro—Collectif (comme dans VOY 03x17 Unity)...
Et tel Cincinnatus aussi la mission accomplie, elle redescend sans dommage, ni physique ni mental ni physiologique, de son cyber-trône.
Au nom d’un fantasme qui a circulé dans l’univers étendu et pour une démagogie fan service, c’est le sens même de la si riche évolution de Seven Of Nine vers l’humanité qui l’on réduit à néant et même que l’on ridiculise.
Ainsi donc, devenir reine Borg, c’était tout simple. Et ça ne laisse même pas de séquelle. À ce qu’il parait, ça pourrait même être une expérience cool. Faudra proposer l’attraction aux touristes…
Formidable, on se demande pourquoi TNG et VOY nous en ont chi..... une pendule.
In fine, ce n’est même pas que Seven a flingué ici quatre saisons de VOY, c’est simplement que ces saisons n’ont désormais plus la moindre espèce d’importance : elles ont été rendues obsolètes ! Car passer du Borg à l’humain (et inversement) revient en fait à franchir le seuil d’une porte. Vive Picard, la série qui a l’art de simplifier toutes les problématiques. Pourquoi raconter en quatre saisons ce que l’on peut si bien traiter en cinq minutes ? Si c’est pas beau le progrès...

De l’autre côté, par l’assassinat de Hugh en amont, par l’extermination gratuite des drones de l’Artefact (à supposer qu’ils ne survivent plus dans l’espace contrairement à ST First Contact), et par le mitraillage à bout portant d’une partie des xBs (libérés au prix de tant d’effort et de respect notamment grâce à Hugh), l’agent du Zhat Vash Narissa a totalement sabordé le Borg Reclamation Project qui étant pourtant d’une importance vitale pour le Romulan Free State… alors que toute cette activité étant sans rapport aucun avec sa croisade contre le "nid des Synthétiques" et que les activités scientifiques menées sur le Cube n’étaient en aucun cas de son ressort.
En réalité, dès lors qu’elle avait obtenu les informations sur la planète originelle de Soji, Narissa aurait eu tout à gagner (en terme de rapidité d’intervention et de limitation des risques) à partir immédiatement en force avec ses collègues et subordonnées Romuliens, en laissant Hugh, Elnor, et l’ensemble du personnel continuer le Borg Reclamation Project d’intérêt général pour les Romuliens.
Mais une nouvelle fois, au plus complet mépris de ce pragmatisme qui avait toujours caractérisé les Romuliens à travers leur Histoire, Narissa a consacré les deux derniers épisodes à assouvir ses pulsions criminelles et génocidaires uniquement parce que les auteurs tenaient absolument à souligner à quel point elle est Méchante selon le langage des fantasy manichéennes (donc multiplication des victimes comme fin en soi). Enchaînant les contresens tactiques et stratégiques, mais aussi les contradictions personnelles (e.g. en témoignant d’un attachement personnelle à la xBs Ramdha au motif qu’elle était sa tante… et en même temps d’une racisme absolu envers tout xBs car xBs), libre d’assassiner librement qui elle veut, donnant l’impression de n’avoir de compte à rendre à personne (comme si elle était l’impératrice ou la reine romulienne elle-même), et perpétuellement sauvée in extremis de ses irresponsabilités par le bon vouloir des scénaristes.

Sur La Sirena, la scène débute à travers le regard de Chris Rios lorsqu’il découvre le visage de Soji que lui présente Picard (suite à leur téléportation depuis Nepenthe) :
- [Picard] Rios ? Rios ? Rios, voici le Docteur Asha. J’ai besoin d’un lien sous-spatial sécurisé. Rios ? [Picard hausse la voix] Eh, Rios !
- [Rios sort de son état second] Quoi ?
- J’ai besoin d’un lien sous-spatial vers le commandement de Starfleet.
- [Musiker et Soji en cœur] Quoi ? Quoi ?
- [Picard] Quelle est la base stellaire la plus proche ?
- [Rios] Deep Space 12.
- [Picard] Mettez le cap. Hé, mettez le cap.
- [Rios, perturbé] Je mettrai le cap pour DS12. Mais Après ça, vous serez tout seul, Picard. J’arrête tout.
- [Soji à Picard, inquiète] Vous avez dit que vous me ramènerez chez moi.
- [Picard] Oui, et je le ferai. Mais on a devant nous un puissant ennemi. On ne peut pas le faire sans soutien. Vous n’avez pas d’autre choix que de me croire. Et ça me fâcherait aussi mais... Je comprends. Je vais vous trouver une cabine.
- [Musiker à Soji] Bonjour. Raffi.
- [Soji] Soji.
- [Musiker] Soji, je suis désolée, mais votre nouveau meilleur ami, Jean-Luc, nous a déjà amené un adorable petite agent double assassin.
- [Picard] De quoi diable parlez-vous ?
- [Musiker] Je parle du fait que vous êtes un énorme pigeon.
- [Picard à Soji] Bon venez. Désolé pour sa grossièreté. [Furieuse du dédain de Picard envers ses propos, Raffi braque alors Soji avec un phaser]
- [Picard se met devant Soji] Raffi !
- [Musiker] Un neurone. C’est tout ce que vous savez d’elle. Vous avez basé ce gigantesque fantasme de sauvetage, de sacrifice et de rédemption à partir d’un minable neurone.
- [Picard] Rangez-moi ça ou soyez prête à l’utiliser contre moi. [Raffi rengaine]
- [Musiker] Agnes Jurati avait un traceur isotopique dans son sang. C’est une espionne romulienne.
- [Picard] Fait ou théorie ?
- [Musiker] Théorie.
- [Picard à Soji] Venez.
- [Musiker] Nous pensons qu’elle a tué Bruce Maddox.
- [Picard, choqué] Qui est ce "nous" ?

À l’infirmerie, Soji étant restée dans ses nouveaux quartiers.
- [EMH, devant le corps vivant mais inanimé de Jurati] Elle s’est injectée un composé d’hydrogène. Elle essayait de déstabiliser le traceur de viridium déjà présent dans son système.
- [Musiker] Et dès qu’elle l’a fait, on a semé notre traqueur du Tal Shiar. Fait. Pas théorie.
- [Picard] Mais de là à dire qu’elle est un agent du Tal Shiar ? Elle ignorait peut-être tout du viridium avant que le traqueur soit repéré.
- [Musiker] Peut-être. Ou on l’a mise sur ce vaisseau pour tuer Bruce Maddox. Juste après avoir tué la sœur de Soji.
- [Picard à l’EMH] Parlez-moi de Maddox. Ses blessures n’auraient pas été fatales. Elle m’avait désactivé. Puis, elle a éteint l’unité de réparation microchirurgicale hématique qui stabilisait sa fonction cardiovasculaire.
- [Picard] Elle était en détresse.
- [Musiker indignée] Je vous ai dit que c’était imprudent de l’emmener. Maintenant vous dites qu’on doit aussi faire confiance à la Synthétique ? Dites-moi, JL, elle est comment, vraiment, Soji ? Vous le savez ? Elle le sait, elle ? [Picard reste silencieux, la tête baissée] Oui, c’est ce que je pensais.
- [Picard] Où allez-vous, Raffi ?
- [Musiker] Dire à Rios que j’avais raison pour Jurati. Pour voir si ça me fait plus de bien de lui mettre le nez dedans.

Plus tard, dans le château virtuel à bord de La Sirena, Picard converse par communication holographique (comme dans Discovery of course) avec la CNC, l’Amirale Kirsten Clancy :
- [Clancy] C’est un sacré rapport.
- [Picard] Et vous croyiez que j’étais un vieillard désespéré. Idéaliste, paranoïaque, peut-être sénile...
- [Clancy] Arrêtons-nous seulement à "idéaliste".
- [Picard] Et maintenant, les moulins sont devenus des géants.
- [Clancy] Vous voulez des excuses ?
- Je veux un escadron.
- Jean-Luc...
- Clancy ! En ce moment même, dans le système Vayt, des êtres qui ont droit à la vie et à la liberté comme vous et moi ou le Commandeur Data sont traqués par un ennemi qui veut les exterminer...
- Jean-Luc !
- Non, Clancy, si vous dites que ce n’est pas une mission pour Starfleet, alors, je suis désolé mais vous êtes un gâchis d’espace !
- Amiral Picard, avec tout le respect que je vous dois, fermez votre foutu clapet. Je vous envoie un escadron qui vous retrouvera à DS12. Restez tranquille jusqu’à ce qu’ils arrivent. Clancy, terminé.
L’image de Clancy disparait, et soulagé, Picard assène un clap de victoire.

Voilà peut-être le plus gros WTF (what the fuck) depuis le début de la série, telle une négation en mode bullshit de la rencontre initiale entre Picard et l’amirale Clancy. Faut-il rappeler comment l’amiral Picard avait été reçu dans DIS 01x02 Maps And Legends lorsqu’il était venu solliciter l’assistance de la CNC à l’appui d’un dossier pas moins tangible qu’aujourd’hui. Alors qu’un commando romulien avait fait exploser Dahj en plein jour à quelques pas de Starfleet, Clancy l’avait pris pour un arrogant idéaliste et un indésirable gâteux, en lui rappelant notamment l’absoluité des nouvelles lois de la Fédération (le droit de vie et de mort sur les autres civilisations et l’extermination des Synthétiques).
Et soudain, sans le moindre élément tangible supplémentaire (hormis une nouvelle fois sa seule parole et l’évocation de ses picaresques aventures), mais en revanche des révélations encore plus "extravagantes" (tout en entérinant les précédentes) et un certain nombre d’infractions à son actif (comme un équipage limite hors la loi, le massacre à Stardust City et ses accréditations diplomatique abusives sur l’Artefact), l’Amirale Kirsten Clancy se met à croire Picard sur parole ! Elle est même à deux doigts de lui présenter des excuses, puis accède directement à l’intégralité de ses demandes, en plaçant à sa disposition, non pas seulement un vaisseau comme il l’avait demandé lors de visite initiale, mais carrément un escadron complet ! Elle va même jusqu’à accepter de porter secours à Coppelius, la planète habitée par des Synthétiques – formes de vies qui sont pourtant hors la loi depuis 14 ans et légalement "exterminables" par Starfleet comme le révélera la suite de l’épisode avec le drame personnel de Rios.
Et quid de Oh dans tout ça ? Clancy ne serait soudain plus sous sa coupe, alors que Picard est désormais plus proche que jamais du pot aux roses.

Il s’agit probablement de la manière dont Michael Chabon illustre ses justifications ultra-sophistiques dans les médias, à savoir que Starfleet se porterait bien et n’a pas changé, mais ce serait simplement Jean-Luc qui serait à la marge et les auteurs voulaient le faire vivre un peu en dehors de l’utopie !
C’est cela oui.... Sauf que c’est bel et bien l’héroïne trekkienne (UFP, Starfleet, et Terre) qui a été profondément trahie dès le début de la série, et Picard 01x08 Broken Pieces ne rattrape strictement rien en zappant, en faisant soudain comme si de rien n’était… espérant probablement que les trekkers les plus "serial-compatibles" aient oublié, et que les autres se réjouiraient d’un soudain retour au familier.
Seulement à moins d’être amnésique, un procédé aussi grossier ne prend pas. On ajoute juste à une incohérence initiale doublée de trahison une nouvelle incohérence doublée d’inconséquence (ou d’hypocrisie). Donc, non, cela ne représente en aucune façon un retour aux idéaux trekkiens, cela n’efface en rien la dystopie. Ce serait trop facile ! Pour agréer les showrunners, il faudrait oublier tous les épisodes précédents, et en particulier les deux premiers... Si c’est ça la "solution" pour apprécier la série, quelle est encore le sens de ces visionnages puisqu’il faudrait ensuite ne pas en tenir compte.

Par une interprétation peut-être davantage affirmée de Patrick Stewart (jusque dans sa voix) et trois scènes mettant en valeur l’autorité vaguement retrouvée de Jean-Luc Picard (lorsqu’il se téléporte au début sur La Sirena et distribue direct ses ordres, puis cette scène-ci avec la CNC, et enfin lorsqu’il s’assied dans le fauteuil du capitaine pour commander (avant de se heurter aux nouvelles holo-interfaces), il est possible que les showrunners tentent d’imputer à un regain d’assurance du héros-en-titre un changement sociétal autour de lui. Sauf qu’il n’est pas question ici de leviers personnels, mais institutionnels au sein d’une société réputée rationnelle et logique.
Bilan : lorsque des sollicitations légitimes sur la base d’éléments tangibles n’ont suscité que l’incrédulité et le refus méprisant de Clancy, on dira que Picard était arrogant et vieux, et qu’il n’a eu que ce qu’il méritait.
Mais lorsque les mêmes sollicitations sur la base des mêmes éléments suscitent soudain l’adhésion et l’obéissance de Kirsten Clancy, on appellera ça l’autorité, le retour du Picard de TNG.
Du coup, s’il ne s’agissait pas d’une triche narrative et d’un sophisme éhonté (hypothèse néanmoins la plus probable), cela signifierait que Starfleet est gouvernée par la seule émotion, le rapport de force, et l’arbitraire (façon meute de loup avec ses alphas). C’est-à-dire que les mêmes causes (i.e. un même demandeur et une même demande) dans les mêmes conditions (i.e. à l’appui du même dossier et auprès de la même autorité) produiront des effets totalement aléatoires et imprévisibles (selon l’humeur, le bon vouloir, voire le hasard). On n’y gagne vraiment pas au change.

Il ne reste de tout ça que la pénible impression de s’être fait rouler dans la farine par les showrunners, et d’avoir largement perdu son temps à suivre une histoire truquée. Une histoire qui n’aurait pas dû être relatée, ou du moins pas du tout comme elle l’a été.
Et c’est avec des enfumages et des tours de passe-passe de ce genre (changer sournoisement les règles, réécrire ou ignorer ce qui précède, envoyer des messages contradictoires, ne rien assumer, multiplier les sophismes, tenir des doubles discours à géométrie variable, placer des tiroirs dans les tiroirs...) qu’Alex Kurtzman et Michael Chabon vont probablement réussir à convaincre les spectateurs les plus amnésiques et/ou les plus superficiels qu’ils n’ont jamais transformés l’UFP en authentique dystopie dans ST Picard...

Il n’empêche que le double discours est toujours de la partie. Car Clancy n’assume et ne réaffirme qu’une seule "insulte", celle "d’idéaliste". Ce qui signifierait (une fois de plus) que la Fédération ne serait idéaliste que dans la tête de Picard… et des trekkers qui n’auraient toujours pas compris que la bienpensance impose désormais l’équation UFP=USA... ou plus exactement UFP

Sur la passerelle, Raffi s’adresse à celui qu’elle croit être Chris, mais qui s’avérera être uniquement l’ENH, alias Enoch (l’hologramme de navigation d’urgence) :
- [Musiker] Ça va, mon vieux ? Vous aviez l’air un peu secoué là-bas.
- [ENH, pris pour Rios] Dites-moi comment je peux vous aider.
- Le Tal Shiar avait un traceur dans votre Jurati chérie, et il semblerait qu’elle ait tué Bruce Maddox.
- Ah, c’est une mauvaise nouvelle.
- [Musiker, très perplexe devant la réponse] Oui. À moins que vous aimiez les théories de conspiration paranoïaques, et dans ce cas, c’est assez génial. D’une façon horrible.
- Dans les mauvaises situations, il faut trouver du positif.
- Nom de Dieu. Lequel êtes-vous ?
- Navigation. ENH. Holo de navigation d’urgence. Appelez-moi Enoch.
- Où est Rios ?
- Après avoir mis le cap sur Deep Space 12, il nous a activés, nous, les hologrammes, et il est allé dans ses quartiers.
- Il vous a dit pourquoi cette fille l’a fait flipper ?
- Non, il a dit que si je continuais de sourire, il me tabasserait [l’ENH sourit d’ironie] Laissez-moi voir si je peux l’identifier pour vous.
- [Les yeux de l’ENH s’illuminent, pout signifier lourdement qu’il consulte une base données] Oui. Elle s’appelle... Jana.
- Elle s’appelle Soji.
- [L’ENH, avec un enthousiasme juvénile] Interrogez-moi sur l’astronavigation !
- Cette chose m’a intriguée quand je surveillais le Cube. Tous ces Romuliens assis ensemble qui tiraient inlassablement sur ça. [Raffi fait apparaitre l’hologramme d’un système solaire octonaire en 2D]. Huit cercles. Vous voyez ? Ça pourrait être des planètes ?
- Ça a l’air d’une tentative de représenter un octonaire.
- Un quoi ?
- Un système planétaire avec huit étoiles. Ça, c’est Nu Scorpii. Un système septénaire, ils sont extrêmement rares. Mais un octonaire ? [Les yeux de l’ENH s’illuminent de nouveau] On en cite un dans certains anciens atlas romuliens, mais... ils sont considérés comme apocryphes. Ils n’apparaissent pas dans leurs cartes modernes. La mécanique gravitationnelle serait incroyablement complexe.
- Moi qui croyais que le Conclave des Huit était huit personnes qui planifiaient l’attaque contre Mars, mais peut-être que le nom évoque le lieu où ils se sont connus. [Raffi embrasse alors spontanément l’ENH qui s’en retrouve tout chose] Vous êtes mon holo favori.

Dans le mess de la Sirena, Soji et Picard mangent ensemble.
- [Picard] Ça vous plaît ?
- [Soji] C’est bon.
- Vous préféreriez autre chose ?
- Honnêtement, je ne sais pas. Vous ne savez pas ce que c’est... d’avoir ce vide en vous, Picard. De s’entendre demander si on aime les œufs sans savoir si la réponse vient de soi ou de son jeu d’instructions.
- Vous avez raison. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne peux qu’essayer de l’imaginer. Vos souvenirs, votre histoire, pour vous, c’est comme des incidents dont vous avez entendu parler... quelque chose qui est arrivé à quelqu’un d’autre.
- Oui.
- Vous avez l’impression que vous n’avez pas de passé.
- Car je n’en ai pas.
- Ce n’est pas vrai. Vous avez un passé. Vous avez une histoire qui attend d’être revendiquée.
- Vous parlez de Data.
- Entre autres choses, oui.
- D’accord. Parlez-moi de Data. Comment était-il ?
- Data était courageux. Curieux. Très doux. Il avait une sagesse d’enfant... loin des habitudes ou des préjugés. Il nous faisait tous rire, sauf quand il essayait de nous faire rire. [Picard et Soji sourient]
- Et vous l’aimiez.
- Je... Oui. À ma façon.
- Vous aimait-il ?
- L’aptitude de Data à exprimer et traiter l’émotion était limitée. Je suppose qu’on avait ça en commun.
- Si je pouvais vous voir avec ses yeux, ses souvenirs, que verrais-je ?
- Comment pourrais-je le savoir ?
- Qu’espéreriez-vous que je voie ? Comment aimeriez-vous qu’il se souvienne de vous ?
- S’il m’avait survécu plutôt que le contraire ? J’espère qu’il se souviendrait de Jean-Luc Picard comme quelqu’un qui croyait en lui, qui croyait en son potentiel. Acclamait ses succès. Le conseillait quand il avait subi un échec. L’aidait s’il avait besoin d’aide, et s’il n’en avait pas besoin, s’écartait de son chemin. Quelque chose de ce genre.
- [Après une longue réflexion, Soji] Il vous aimait.

Une véritable capacité à voir à travers les yeux de Data ? Ou une simple parole de charité de la part de Soji ?
Dans la mesure où Soji n’avait encore jamais connu les "visions" ni éprouvé la confiance "instinctive" en Picard de sa "jumelle" Dahj (ce qui a commodément justifié narrativement le détour par Nepenthe), et à condition de supposer que les "connexions" de Dahj à Picard n’étaient pas juste une "programmation de sauvetage" de Bruce Maddox mais un héritage de l’unique neurone positronique de Data (en d’autres termes un souvenir "héréditaire")… alors il serait possible d’imaginer que c’est par ce témoignage d’amour de Data à Picard que Soji emboîte le pas de sa sœur, quoi différemment.
Pour autant, est-il crédible de supposer une telle sophistication dans l’écriture… lorsque, par expérience, les auteurs ont plus vraisemblablement juste cherché à faire pleurer Margot ?

Alors bien entendu, cet échange se veut touchant tant il fait (lourdement) appel au sentiments des spectateurs... et à la nostalgie trekkienne pour Data à travers l’affect inconsolable de Jean-Luc.
Mais derrière cet enfumage émotionnel et soapy, il n’y a ici pas un liard d’exploration ontologique sur la condition synthétique, pas un zeste de réflexion sur l’altérité comme pouvaient en proposer les chefs d’œuvres TNG 02x09 The Measure Of A Man, TNG 03x16 The Offspring, TNG 04x11 Data’s Day, TNG 04x25 In Theory, TNG 06x09 The Quality Of Life, VOY 02x13 Prototype... et même les épisodes de The Orville consacrés au Kaylon Isaac et à ceux de Red Dwarf dédiés à l’androïde Kryten.
Picard 01x03 The End Is The Beginning et Picard 01x07 Nepenthe ont beau avoir démonstrativement cité Isaac Asimov (dans le cadre de leur name dropping fort cuistre), il n’y a dans la série Picard rien qui se rapproche de près ou de loin des Lois de la Robotiques et des questionnements corollaires... dont Data était en un héritier via son cerveau positronique.

La réplique « Data’s capacity for expressing and processing emotion was limited. I suppose we had that in common » de Picard ne manque pas de finesse, par son autodérision lucide.
L’énorme hic, c’est que cela suppose un krypto-révisionnisme envers les quatre films de TNG, comme si l’évolution personnelle de Data s’était achevée dans TNG 07x25+07x26 All Good Things ! Car à partir de ST Generations, Data recevra l’emotion chip de Noonian Soong. Et après quelques aléas d’ajustement, il se retrouvera à disposer des mêmes capacités d’expression émotionnelle que les autres humains, donc davantage que le crypto-Vulcain Picard.
Or dans la mesure où la période allant de ST Generations à ST Nemesis représente huit années, soit davantage encore que les sept saisons de TNG, cela signifie que Jean-Luc zappe plus de la moitié – et qui plus est la plus récente moitié – de son expérience de service dans Starfleet aux côtés de Data par la description qu’il en fait à Soji.
Soit une énième incohérence résultant de la prépondérance de l’externalisme sur l’internalisme.

Raffi arrive en ingénierie, tandis qu’un autre hologramme d’urgence à l’effigie de Chris s’affaire sous le réacteur à distorsion. Il s’agit cette fois de l’EIH (Emergency Engineering Hologram) alias Ian, spécialisé en ingénierie.
- [Musiker] Chris ? Êtes-vous Chris ?
- [EIH] Non, jeune fille. Je suis l’holo d’ingénierie d’urgence. Mais on m’appelle Ian.
- D’abord, je vous demande de ne plus jamais m’appeler "jeune fille".
- C’est noté.
- Avez-vous vu Rios ?
- Non. Le capitaine se cache encore dans sa cabine.
- Il se cache ? De quoi ? De Soji ?
- Je n’en suis pas sûr mais je ne serais pas surpris. La vue de cette jeune fille lui rappelle de mauvais souvenirs.
- Pourquoi donc ? D’où la connaît-il ?
- [Les yeux de l’EIH s’illuminent tandis qu’il consulte sa base de données] J’en ai pas la moindre idée. Je crois que c’est vrai mais je ne sais pas pourquoi.
- Vous n’êtes pas le seul. L’ingénierie, pas vrai ? J’ai une question pour vous. Combien de chances y a-t-il pour qu’un système stellaire octonaire se produise naturellement ?
- Elles sont... pratiquement nulles.
- Vous voulez dire… il faudrait le construire. Il faudrait capturer huit soleils. Les déplacer à travers des années-lumière et les mettre en mouvement.
- Pourquoi voudriez-vous faire ça ?
- Pour frimer. Dire : "Regardez ce que je peux faire."
- Ou peut-être que vous aviez quelque chose de très important à dire, et vous vouliez être sûr d’avoir l’attention des gens. Comme si vous vouliez leur donner un avertissement. Je brûle. Ian, je peux le sentir.
- Oui. Quel effet ça fait ?
- C’est absolument terrifiant.

Le running gag se poursuit donc de plus belle. Après l’EMH (médecine/psychologie), l’ENH (navigation), EHH (hospitalité), et l’ETH alias Emmet (tactique/pilotage), voici l’EIH (ingénierie) alias Ian. Bienvenue au cinquième hologramme ExH, cette fois au fort accent... écossais ! Somme toute, une nouvelle caricature de Scotty, après celle de Simon Pegg dans Kelvin. Mais au moins celle de Santia Cabrera est volontaire.

Raffi entre dans sa cabine :
- [Musiker au synthétiseur] Bourgogne. Vin rouge.
- [L’EHH apparaît de lui-même ] Quelle est la nature de votre urgence hospitalière ?
- J’ai besoin d’un verre de vin.
- Vous avez désactivé il y a deux jours le service d’alcool dans vos quartiers.
- Réinstallez-le. Annulation.
- Vous vous êtes verrouillée hors de l’annulation et... hors de la méta-annulation.
- Alors, tirez-moi une balle dans la tête. Qu’est-ce qu’il a, Rios ? Je devrais m’inquiéter pour lui ? Il pourrait bénéficier de quelqu’un à qui parler. Qui n’est pas une version identique mais mieux coiffée de lui-même.
- Comment le savez-vous ? Êtes-vous tous connectés directement à Rios ?
- Quand le capitaine Rios a acquis La Sirena, il a choisi l’option auto-scan. Il assure que c’est un accident, mais il ne l’a jamais annulée, alors...
- Alors, vous êtes tous Rios ? Superposés sur les cinq installations de base ?
- Non, pas exactement. Il a fait des suppressions ultérieures. Imprudentes, à mon avis. Si vous me demandez la bonne température pour faire du thé Yridian, je n’en ai plus la moindre idée. C’est dur à expliquer. Mais je suis conscient du fait, ou plutôt, mes algorithmes me font prédire avec une extrême confiance que le capitaine Rios a désespérément besoin d’une confidente, actuellement.

Dans les quartiers personnels de Rios, la caméra balaye sa bibliothèque existentialiste (voire nihiliste) de livres en papier (L’étranger de Camus, Le traité du désespoir de Kierkegaard, Le sens tragique de la vie de Miguel de Unanumo (again), Surak et l’existentialisme...), mais aussi de disques vinyles, pour dévoiler un Rios assis à même le sol, entre les bouteilles d’alcool.
Finalement, il ouvre une malle contenant des effets (dont un uniforme) et des archives personnelles remontant à l’époque où il était affecté à l’USS Ibn Majid MCC-75710 :
- [Musiker à la porte de ses quartiers] Rios ? Chéri, c’est Raffi. Je pensais que vous aviez peut-être besoin de compagnie.
- [Rios] Foutez le camp.
- Je fous le camp.
Et dans une boîte à cigares, parmi les insignes, les décorations et un ancien combadge de Starfleet (dans le style de ceux de TNG), il retrouve une photo commune de lui avec feu son ex-capitaine bien-aimé, ainsi qu’un dessin… tous deux chargés de nostalgie douloureuse.

La série Picard continue donc à importer dans son écosystème tout ce qu’elle peut du contemporain : après les livres en papier (qui restaient une "exception picardienne" dans TNG) et les albums photos, après les idiosyncrasies et les postures des personnages, après la vulgarité et les f-word, après la dystopie et le cynisme généralisés, voici les disques vinyles. Ou la branchouille du vintage à contremploi.

Musiker a réuni dans l’holoprogramme du Château Picard les cinq hologrammes à l’effigie de Rios (l’EMH, l’ENH, l’ETH, l’EIH, et l’EHH), pour un séance d’interrogatoire croisée, finalement de brainstorming.
- [Musiker] C’était peut-être une erreur. D’accord. Quelque part, sous ce spectacle absurde que je vois devant moi, il y a cinq fragments brisés du capitaine Rios. Comme si chacun de vous avait reçu une carte cachée. Si vous les retourniez ?
- [L’EHH à l’ETH] Redresse-toi.
- [L’ETH réplique en espagnol]
- [Musiker] D’accord. Commençons par la fille. Ian, vous l’avez appelée "Jana". Vous dites l’avoir reconnue.
- [EIH] C’est vrai.
- [ENH] Moi aussi. Oui, Jana. La pauvre. C’était tellement tragique. Je... [Ses yeux s’illuminent] Non. Désolé. C’est tout comme ma connaissance des techniques d’astronavigation medusienne [Medusan astrogation techniques en VO]... évaporée.
- [EHH] Ça a à voir avec le temps qu’il a passé sur le ibn Majid avec son capitaine.
- [EIH] Oui. Capitaine Alonzo Vandermeer.
- [Musiker] Pourquoi ? Ils étaient proches ? Il est vivant ?
- [EMH] C’est... Ah… L’information est là, quelque part. Je le sens... [L’EMH se frappe la tête avec sa mains et tous les autres hologrammes en font de même simultanément] mais je ne peux pas l’atteindre. [L’ETH s’endort sur la canapé, et attire l’attention par ses ronflements ostentatoires]
- [Musiker indignée] Emmet !
- [L’ETH se réveille, contrarié, et met dédaigneusement ses pieds sur la table] Quoi ?
- [Musiker] Qu’est-il arrivé à Vandermeer ?
- [ETH] Capitán Vandermeer ? [Et il fait le geste du flingue que l’on se tire dans la bouche]
- [Musiker] C’est horrible. On sait pourquoi ?
- [EIH] C’est l’un de ces cas où on peut le dire mais on ne le dit pas.
- [EHH] Il se trouve qu’en fait, on ne peut pas.
- [ENH] Je peux sentir la réponse, ou son fantôme.
- [EMH] Ça risque de violer mon serment d’Hippocrate, mais quand tout ceci a pris fin, le capitaine Rios a fait une dépression nerveuse. [L’ETH proteste en espagnol] C’est pour ça qu’il a été congédié.
- [Musiker] "Tout ceci" ? C’est quoi, tout ceci ? Il s’est passé quelque chose sur le Ibn Majid, ça avait quelque chose à voir avec Vandermeer et une fille nommée Jana [Musiker fait apparaître une interface holographique]
- [ENH] Inutile de chercher des journaux de bord ou des archives sur le Ibn Majid.
- [Musiker] Pourquoi ?
- [ENH] Tout a été classifié.
- [Musiker] Pour quelle raison ? [Les yeux de tous les ExH s’illuminent] Allons. L’un d’entre vous le sait. Que s’est-il passé sur le Ibn Majid ?
- [ETH] L’un de nous le sait.
- [EIH parlant le vieil écossais et non l’anglais]Et il est soûl comme une barrique et n’est vraiment pas d’humeur. ["And he’s sae fou as a piper an’ awfu aff the fang" en VO]
- [ENH] C’est tellement vrai, Ian.
- [Musiker] Je veux dire... Ce n’est même pas vraiment un langage.

Le comic relief des ExH est désormais à son comble. La Sirena ou le one man crew !
Pour bien des spectateurs, ce sera là le clou du spectacle. Santiago Cabrera donne librement court à ses talents d’imitateur (et de cabotin) dans cinq rôles de compositions scéniques humoristiques... qui pourraient presque faire (un peu) penser aux six rôles de Fernandel dans Le mouton à cinq pattes (1954) d’Henri Verneuil. Un vrai vaudeville high tech en somme...
En réalité, il n’y aura eu que trois réelles personnalités exposées, dont deux outrancières, quoique comiques :
- l’EMH, l’ENH, et l’EHH (un peu plus maniéré) n’en forment qu’une, tant elles se confondent largement dans une version attentionnée et urbaine de Chris Rios, dépourvu de "tourment existentiel" ;
- l’EIH parodie le Scotty de TOS par ses idiomes et son accent écossais ;
- et l’ETH est bourru, asocial, et majoritairement hispanophone.
Picard 01x08 Broken Pieces révèle donc qu’à la fin du 24ème siècle, les vaisseaux (même privés) disposent d’un bundle d’holoprogrammes d’urgences que le propriétaire ou capitaine du vaisseau peut configurer à son image, à la fois physique et mentale. À la suite de quoi, les hologrammes résultants demeurent "psychiquement connectés" à leur "source organique". Est-ce que cela signifie que dans la dystopique UFP de ST Picard, la télépathie est désormais un mode de communication mécanisable, et les interfaces neuronales directes une réalité (comme dans le Collectiof borg) ?
Dans le cas de La Sirena, chaque ExH possède un fragment de la personnalité et des souvenirs de Chris Rios. Pour autant, cela n’explique pourquoi l’EIH est aussi parodiquement "scottish", et l’ETH aussi parodiquement "latino".
Réunir ainsi les constructs partiels pour tenter de conjecturer et reconstituer les traumas et le passé de leur "matrice humaine" (qui s’est réfugiée dans l’éthylisme et le mutisme) est en soi une belle idée, mais elle aurait méritée d’être valorisée avec bien davantage de rigueur et de profondeur. Notamment pour questionner la place et la sentience de ces hologrammes présentant toute la sophistication et la complexité humaine de leur modèle organique... dans une société qui a pourtant bannie toute forme de vie synthétique.
Il y a ici un vrai nœud de contradictions :
- En quoi les hologrammes ne seraient pas des synthétiques au même titre que les androïdes (alors qu’ils étaient pourtant considérés comme tels dans VOY et notamment en 2404 dans le futur alternatif dont est issu VOY 07x25+07x26 Endgame ?
- Si des hologrammes réussissent à émuler à la perfection la sentience organique (jusqu’à inclure l’humour et les émotions ce que ne parvenait pas à faire à l’origine Data), qu’est-ce qui les priverait du statut officiel de sentients ?
- Sont-il alors considérés comme des personnes en pleine autodétermination (évolution légale vers laquelle allait VOY 07x20 Author, Author et confirmée par le 25ème siècle du final de VOY)... ou sont-ils à l’inverse des biens mobiliers, c’est-à-dire des esclaves ?

Nouveau clin d’œil internaliste, lorsque l’ENH déclare avoir oublié les techniques de navigation des Médusiens (ou des Medusans)... dont l’ambassadeur Kollos avait fait une mémorable démonstration dans TOS 03x07 Is There in Truth No Beauty ?.

Dans l’infirmerie, Jurati s’éveille, et la première chose que ses yeux distinguent, c’est le visage de Picard qui la dévisage avec sévérité…
- [Jurati] Ça a marché ?
- [Picard] Vous avez neutralisé le viridium, si c’est ce que vous voulez dire. On n’est plus suivis par le Tal Shiar. Nous faisons maintenant cap vers Deep Space 12. À notre arrivée, vous vous rendrez aux autorités pour le meurtre de Bruce Maddox. [Agnes acquiesce de la tête, les larmes aux yeux] J’ai tout fait pour que ça marche. Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? C’était votre mentor. Votre... amant ? Pourquoi ?
- [Jurati en pleurs] J’étais obligée. Quand La Commodore Oh est venue me voir ce jour-là, elle... Elle m’a fait quelque chose. Elle m’a empoisonnée.
- Donc, le chef de la sécurité de Starfleet vous a fait avaler un traceur de viridium ?
- Oui
- Mais ce n’est pas de ça que je parle. Elle a empoisonné mon esprit, Picard. Elle... a mis ses mains sur ma tête et y a versé... Elle a fait entrer en moi un barrage psychique pour m’empêcher d’en parler.
- Vous devez combattre...
- [Jurati hurle] Je ne veux pas en parler ! Vous croyez à l’enfer ? [Picard manifeste une expression d’incrédulité] Oui, moi non plus. Jusqu’à ce que je l’aie vu. Maintenant... je pense au suicide chaque jour. C’est comme ça que je me réconforte.
- Est-ce que cette expérience... cette vision de Oh, elle l’a vécue elle-même ?
- Non. Non. C’est arrivé... il y a des milliers de siècles. À cause d’orgueilleux. Des orgueilleux comme Bruce.
- À cause de la vie synthétique ?
- On est au seuil. Je l’ai vu, Picard. Oh me l’a montré. Si on n’agit pas vite en détruisant la possibilité de la vie synthétique...
- L’enfer reviendra. Et ce seuil...
- [Soji débarque discrètement dans l’infirmerie et intervient dans la troublante conversation] C’est la venue de Seb Chebeb, le Destroyer. Moi. [Agnès est sous le choc en découvrant enfin Soji de visu]

Mieux vaut tard que jamais pour la détermination de la culpabilité de Jurati. Mais il aura visiblement fallu un empoisonnement potentiellement létal au moyen d’une substance radioactive (afin de semer un poursuivant du Tal Shiar) pour qu’on en arrive ENFIN à s’interroger sur ce qui est arrivé à Bruce Maddox !
Étant donné que La Sirena n’est pas un vaisseau militaire, constitué de personnels spécialisés, assujetti à des protocoles stricts, il était en effet cohérent que ne soit pas entreprise un vaste enquête à la Hercule Poirot ou à la CSI.
Mais néanmoins, avec autant de dispositifs high tech à portée de main qui valent davantage qu’une équipe médicolégale complète de nos jours, ne même pas avoir consulté l’EMH à la mort de Maddox est nonsensique au possible.
Le tardif "rattrapage" n’en est donc pas vraiment un.

Dans ses quartiers, Rios est étendu au sol, torché, et écoutant "Solitude" de Billie Holiday… Raffi entre cette fois d’autorité, et synthétise un café qu’elle tend à Rios.
- [Musiker] Alors, le capitaine Alonzo Vandermeer. C’est son Walkman ?
- [Rios] J’avais coutume de prétendre que c’était mon père. Je l’appelais "papa" ["pops" en VO] dans ma tête. Une ou deux fois, ça m’a presque échappé. [Rios tend à Musiker la photo portrait qu’il avait exhumé auparavant du coffre à souvenirs] C’était une surprise quand il s’est avéré être un assassin de sang-froid.
- Qui ? Qui a-t-il assassiné ?
- On était sacrément loin dans le secteur Vayt. On a soudain capté une mission diplomatique venu de nulle part. Un tout petit vaisseau, de conception inconnue. Deux passagers. On les a scannés. Ils étaient réglos. On a envoyé l’info à Starfleet et on leur a fait part d’un premier contact. Et on les a téléportés à bord. L’ambassadeur, Belle Fleur ["Beautiful Flower" en VO], et sa jeune protégée…
- Jana.
- On se serre la main. On s’assoit, on mange un morceau. Quelques heures plus tard, Vandermeer les tue tous deux de sang-froid. Il les supprime tous deux de deux rapides coups de phaseur.
- Pourquoi ?
- C’était une directive de pavillon noir [black flag directive en VO], provenant directement de la Sécurité de Starfleet. Il m’a dit qu’ils lui avaient dit que s’il désobéissait, l’Ibn Majid serait détruit avec tout son équipage.
- [Musiker indignée] Quoi ?
- Je l’ai attaqué durement. Très durement. [Long silence, Rios est visiblement ébranlé] Alors, il a mis le phaseur dans sa bouche et il a tiré.
- Oh, Chris.
- Raffi, j’ai ensuite camouflé la chose. Comme il était censé faire. Pour que tout ça ne soit pas arrivé pour rien. Pour qu’ils ne fassent pas sauter le Ibn Majid et tout le monde à bord. J’ai téléporté les corps dans l’espace, et effacé ça du journal du téléporteur. Et j’ai dit à toute la flotte qu’Alonzo Vandermeer s’était tué pour aucune foutue raison. Six mois plus tard, on m’a viré de Starfleet. Ils ont nommé ça "une dysphorie post-traumatique." Mais j’étais juste...
- Brisé. [Avec beaucoup de compassion, Raffi met sa main sur le visage de Chris] Je suis désolée, chéri.
- Quand cette fille a été téléportée à bord, aujourd’hui, je veux dire, Raffi... c’est la même fille ! [Chris tend alors à Raffi le dessin qu’il avait retrouvé dans ses effets, composé par Belle Fleur, et portraiturant Rios plus jeune et Jana, physiquement très semblable à Soji] L’autre a dessiné ça pendant qu’on parlait.
- [Musiker, sous le choc] C’étaient des Synthétiques. C’est pour ça qu’ils devaient mourir. Chris, qui en a donné l’ordre ?

Une Black flag directive au sein de Starfleet ? Mais c’est quoi ce délire... qui creuse encore plus profondément la tombe de Star Trek ?! Donc maintenant Starfleet posséderait un drapeau noir de pirate (mot code : "pas de quartier") obligeant à buter les ambassadeurs d’un premier contact, qui plus est sous la menace de massacre de l’équipage entier du vaisseau de Starfleet en cas de "manque d’ardeur à l’assassinat dans le dos" ?
En gros, le sort que réservait l’Amiral Marcus depuis son USS Vengeance à l’USS Enterprise à la fin de ST Into Darkness mais érigé ici en dispositif légal... telle une mauvaise parodie du Generel Order 24 de TOS. Donc, lorsque ce n’est pas Discovery qui déteint au lavage, c’est Kelvin !
Faut-il que la profanation de la création de Gene n’ait plus de limite désormais. ST Picard n’est plus la transposition des USA ni d’un quelconque pays civilisé contemporain, c’est devenu la transposition de Daesh ! De mieux en mieux...
Cette expérience avait en effet de quoi rendre malade Rios au point de le pousser à maudire Starfleet et tout ce en quoi il avait cru. Alors que la très secrète Section 31 de DS9 ne prenait jamais en otage le personnel de Starfleet et qu’elle ne transformait jamais les mesures d’exception en normes, il est invraisemblable que la normalisation d’un tel dispositif (puisqu’il porte même un nom i.e. drapeau noir) par le département régulier et officiel de la Sécurité de Starfleet soit passé inaperçu, sans aucun scandale, et avec l’aval du commandement de Starfleet ! Dans les sociétés civilisées (y compris contemporaines), obéir aveuglément à des ordres illégaux et/ou immoraux n’a jamais été une excuse ni une ligne de défense. Sauf si l’immoral est devenu légal. Mais auquel cas, il ne s’agit plus de société civilisée.
C’est par l’indifférence, la veulerie, la complicité passive que l’on mesure la réalité d’une décadence dystopique. Lorsque l’utopie, et plus généralement la civilisation, a perdu tous ses anticorps...

Côté technique, l’évidente question qui vient à l’esprit, c’est : comment se fait-il que le personnel de l’USS Ibn Majid n’ait pas immédiatement identifié la nature synthétique de Jana et Belle Fleur, au moment du scan pré-téléportation, au pire pendant la téléportation ? Pour qui comprend ce qu’implique véritablement une téléportation (numérisation, désintégration, et recomposition à l’identique de chaque atome du sujet téléporté), cette opération ne peut laisser planer aucune ambiguïté sur la nature organique ou synthétique, humaine ou extraterrestre. Du coup, qu’est-ce que Starfleet pouvait identifier à distance que le Capitaine Alonzo Vandermeer n’aurait pas de lui-même remarqué in situ au sujet de ses "invités" ?!
Partant, quelle était la viabilité pour des Synthétiques, Dahj et Soji en 2399, Belle Fleur et Jana dix ans avant, d’évoluer à proximité ou au sein de l’UFP, sachant que leur existence même était hors-la-loi tandis que l’omniprésente téléportation ne ferait aucun mystère de leur nature ?!
Mais évidemment, faudrait-il encore que la série Picard ait une once de consistance et de logique dans sa construction narrative...
À moins que l’intention des showrunners soit de suggérer que rien ne permet plus de distinguer les androïdes de la génération Bruce Maddox des humains, à la façon des douze modèles cylons de Battlestar Galactica 2003. Sauf que la technologie de téléportation n’existait pas dans la série de Ronald D. Moore !
Et si vraiment une complète décomposition moléculaire/atomique ne permet plus de distinguer un synthétique d’un organique, peut-on encore parler de synthétique ? Et que resterait-il alors de la filiation entre Data et Jana/Dahj/Soji, a fortiori sachant que ces dernières sont supposées être les fruits d’un clonage neuronique fractal ("fractal neuronic cloning") des androïdes de la génération Noonian Soong, impliquant donc a minima une essence commune.
Bref, un pur WTF digne de Discovery.

Dans l’infirmerie, Agnes questionne Soji :
- [Jurati] Est-ce que vous dormez ?
- [Soji] Chaque nuit.
- [Jurati, émerveillée] Vous dormez chaque nuit. Mon Dieu. Vous mangez ?
- Quand j’ai faim.
- Que faites-vous quand vous êtes triste ?
- Je pleure.
- Quand vous avez soif ?
- Je bois.
- [Jurati en pleure d’émerveillement] Vous buvez quand vous avez soif. C’est si beau. [Soji sourit] Vous avez une constellation de trois grains de beauté sur la joue droite.
- C’est une bonne chose ?
- C’est de l’art. Noonian Soong, qui a créé Data, se considérait comme un artiste, mais... il n’a jamais donné trois grains de beauté à Data.
- J’ai aussi un grain de beauté sur la poitrine et un petit orteil tordu.
- [Jurati sourit] Vous êtes une merveille. Un... chef-d’œuvre technologique et une œuvre d’art.
- Suis-je une personne ? Suis-je une personne ? Pas en théorie. Pour vous, maintenant, qui me regardez, me parlez. Me considérez-vous comme une personne comme vous ? La Commodore Oh vous a ordonné de me tuer aussi. Je ne vous en donnerai jamais la chance [dit Soji avec un air menaçant]
- Maintenant que je vous ai rencontrée, je ne la saisirais jamais. Jamais, jamais plus. D’accord ? [Soji avalise de la tête]

Derrière un effleurement philosophique et hommage en creux au travail artistique de Maddox présenté comme supérieur à celui de Noonien Soong, l’idolatrie de la créature dissimule mal une indifférence insultante envers son créateur.
Bruce, Agnes le connaissait depuis des années, l’aimait, était en couple avec lui, et le savait être le plus expert des cybernéticiens depuis Noonian Soong (donc le plus "vital" face une "apocalypse IA"). Et pourtant elle l’a tué !
Soji en revanche, Agnès vient juste de la rencontrer, elle ne la connait pas, et c’est en sus une androïde (c’est-à-dire une cible bien plus prioritaire pour l’Admonition que l’humain qui l’a créée). Mais là, plus aucun désir de la tuer !
Ni convaincant, ni équitable. Car l’apparente repentance cache surtout un fétichisme, et l’amour sentimental ne pèse pas lourd face à l’amour de la groupie.

Ainsi donc, à peine débarquée et "simple" passagère de La Sirena, Soji prend l’initiative de "libérer" Agnes de son confinement. Puis, sous couvert de l’engagement très symbolique de se constituer prisonnière sur Deep Space 12 (où La Sirena n’ira de toute façon pas), Jean-Luc pardonnera tout à la meurtrière, et l’équipage s’alignera (même "l’officier de sécurité" Raffi) ! Les showrunners s’imaginent-ils vraiment que toutes les profanations de l’idéalisme sociétal trekkien depuis le début de la série seront rédimées par des démonstrations aussi irréalistes et aussi politiquement correctes d’humanisme et de générosité "pas dans le jugement". Ce serait bien mal comprendre le trekkisme de le confondre ainsi avec le christianisme doloriste, tout comme ce serait méconnaître le personnage de Jean-Luc en le situant dans une dialectique de "pardon". Cette forme de "pardon" que tente de vendre la série ST Picard n’est que la vulgate de la soft idéologie, i.e. un narcissisme et un égoïsme de confort. Le seul à pouvoir accorder un quelconque "pardon" serait la victime elle-même, Maddox. Sauf qu’il est mort et que tous les autres personnages se contrefichent de lui désormais.
Le véritable Jean-Luc Picard se serait avant tout préoccupé de l’intérêt général et des risques pour la mission, en ne laissant pas libre une personne clairement compromise, c’est-à-dire ayant commis un meurtre sous une influence extérieure non endiguée (sa seule parole n’offrant dès lors plus une garantie suffisante).
Et cela non pas dans une perspective punitive ou rétributive (tout le monde a bien compris que Jurati n’était pas pleinement responsable, au sens par exemple des articles 122-1 et 122-2 du Code pénal français), ni vengeresse (la vengeance n’est normalement pas dans l’ADN des ressortissants de l’UFP quoique tente de nous vendre par ailleurs cette série). Mais simplement par respect pour la victime (est-ce que Bruce Maddox se contenterait de cette "repentance express" ?). Et surtout par prophylaxie : en effet, il ne suffit pas d’une proclamation solennelle, presque involontairement comique « I’m done murdering people » (sans blague ?) pour s’y fier lorsqu’il y a un enjeu exposant beaucoup d’autres gens.
Tant qu’Agnes n’aura pas été examinée et soignée pour "lavage de cerveau", si possible par un Vulcain expert en Mind Meld pour tenter de défaire ce qui été imposé par Oh, Jurati représentera un gros risque dans le cadre de cette mission en prise étroite avec la vie artificielle et les intrigues romuliennes. Et le "pardon" est un complet HS dans l’affaire.
La série ST Picard cultive son cynisme et sa dystopie, mais elle s’abime pourtant ici dans une imperfectibilité caractérisée... ou alors une niaiserie désarmante. Celle-là même qui avait conduit Jean-Luc à accepter la candidature spontanée dans l’équipage de Jurati, sans s’étonner pour le moins du monde de son irruption tout à fait suspecte lors de l’attaque du commando romulien durant le troisième épisode. Et pour le coup, impossible d’imputer ça à l’alibi facile du gâtisme ou de la maladie neurodégénérative de Picard... puisque les "régisseurs" romuliens (pourtant anciens cadors du Tal Shiar) furent tout aussi naïfs ou aveugles.

À bord de La Sirena, Soji libère Jurati de son confinement et l’amène au mess devant tout l’équipage, silencieux et circonspect :
- [Jurati] Eh bien... J’en ai fini d’assassiner des gens. Donc, c’est une bonne chose. Quand on arrivera à Deep Space 12, je me rendrai.
- [Rios] Ça va aller ? [Jurati et Soji s’asseyent à la table de Rios]
- [Jurati, bourrelée d’émotion] Je suis désolée. Je n’avais jamais ressenti à ce point depuis longtemps... peut-être depuis toujours, le sentiment d’avoir... une famille. Je suis désolée d’avoir tout fait foirer. [Picard approuve de la tête]
- [Musiker à Rios] On s’y met ? [Chris opine en synthétisant des aliments]
- [Rios] Je suis désolé, moi aussi. [Il tend à Soji une tasse et des frites] Menthe poivrée. Frites. Je trouve que ça a l’air dégoûtant mais vous adorez ça, hein ?
- [Soji] Comment le savez-vous ?
- [Musiker à Soji] On va y venir, mon petit. [Musiker à tout le monde] Maintenant, écoutez. Il y a 200 000, 300 000 ans, quelqu’un assemble huit soleils. Ils suspendent une planète au milieu. Et sur cette planète, ils mettent un avertissement.
- [Jurati] Les Romuliens l’appellent l’Admonition.
- [Musiker] Cet avertissement dit : "Ne faites pas ce qu’on a fait. On a créé des formes de vie synthétiques, et"...
- [Jurati] Et elles ont évolué. Et ça ne s’est pas bien passé. Vraiment pas du tout.
- [Rios] Ce qui veut dire ?
- [Picard] Apparemment, ces gens croyaient qu’il y avait un seuil d’évolution synthétique. Une ligne de division.
- [Rios] Comme le moteur de distorsion Zefram Cochrane ? Quand vous franchissez cette ligne, quelqu’un apparaît.
- [Jurati] Un être vraiment diabolique.
- [Picard] Il semble que les Romuliens prenaient cette Admonition très au sérieux. Ils ont créé un groupe, le Zhat Vash, dédié à la recherche et à la suppression de toutes vies synthétiques.
- [Musiker] Alors, imaginez, il y a 30 ou 40 ans, lorsque le Docteur Noonian Soong a développé des vies synthétiques égales aux êtres humains, supérieures, sous certains aspects. Les Romuliens envoient une taupe, mi-romulienne, mi-vulcaine, nommée Oh. Elle se terre dans Starfleet, gravit les échelons et devient chef de la Sécurité. Et durant tout ce temps, elle a une seule mission... arrêter la recherche et le développement des formes de vie synthétiques. À cette fin, elle décide d’élaborer une situation si terrifiante que la seule réaction de la Fédération sera d’interdire les synthétiques pour toujours.
- [Jurati] Les Romuliens étaient les auteurs de l’attaque contre Mars.
- [Musiker] Ça semble vraiment authentique. [Se tournant vers Picard] N’est-ce pas ?
- [Picard, d’un signe d’approbation] Continuez.
- [Musiker] Mais le travail de la Commodore n’était pas terminé. Il y a neuf ans, un vaisseau de Starfleet a eu un premier contact avec deux émissaires d’un étrange nouveau monde.
- [Rios] L’un d’eux se faisait appeler Belle Fleur. L’autre était...
- [Soji] Jana. [Soji étant elle-même surprise d’avoir dit ça] Comment je sais cela ?
- [Rios] Comme je sais que vous aimez tremper les frites dans la glace à la menthe.
- [Musiker] Jana et cette Fleur venaient du monde où Bruce Maddox avait fui quand il avait quitté la Terre après l’interdiction, déterminé à poursuivre son travail.
- [Picard] Et le Zhat Vash cherche ce monde depuis tout ce temps.
- [Soji] Ils viennent de le trouver à cause de moi. [Terrassé par la colère envers elle-même, Soji frappe violement la table de ses mains] Excusez-moi. [devant le regard interloqué de tout l’équipage]
Soji quitte le mess, et se rend à la passerelle pour prendre le contrôle de La Sirena.
- [Rios] Soji, que faites-vous ? [Il découvre alors que Soji s’est isolée dans le poste de commande en activant un champ de force infranchissable] Emmet, ayuda. [Rios appelle sont hologramme tactique, mais sans obtenir de réponse] Emmet !
- [Soji] Je l’ai désactivé. Ne craignez rien. Je ne ferai de mal à personne. Je dois rentrer chez moi. Vous récupérerez votre vaisseau, Rios, dès qu’on arrivera.
- [Rios] Mon petit, je vous comprends, mais ce n’est pas correct. On veut vous aider. On ne peut pas...
- Comment pouvez-vous comprendre ? Quelqu’un essaie de décimer votre famille ? En avez-vous même une ?
- Non, je n’en ai pas.
- [Musiker, surprise par la teneur de l’affichage tête haute sur l’écran panoramique de la passerelle] Qu’est-ce que c’est ? Un tunnel sous-spatial ?
- [Soji] C’est une carte du réseau de conduits de transdistorsion des Borgs.
- À cette vitesse, on est à neuf heures du nodule le plus proche. J’ignore comment je sais cela. J’ai dû l’apprendre sur le Cube quand j’étais le Docteur Soji Asha.
- Dès que j’ai appris la vérité sur l’interdiction, l’Admonition, et ce qui est arrivé à mon frère et à ma sœur sur l’Ibn Majid, il m’a soudain semblé connaître beaucoup de choses.
- [Rios] Connaissez-vous ceci ?
Chris se met à chanter en espagnol Arroz con leche… et il désactive ainsi le champ de force de Soji !
- [Rios] C’est une berceuse que ma mère me chantait. [Rios dit à Soji en la regardant droit dans les yeux] Elle n’aimait pas non plus que les autres jouent avec ses affaires.
- [Picard] Elle l’a fait à la manière de Maddox. Elle l’a fait à ma manière. Essayons de le faire à sa manière, et espérons qu’on y arrivera à temps pour les prévenir. [Picard s’assied sur le fauteuil du capitaine, et active l’interface holographique] En fait... je ne sais pas comment m’y prendre. [Devant le regard ironique de Raffi et Chris]
- [Rios assez furieux à Soji] Alors, votre plan est de naviguer dans un conduit de transdistorsion, sans établir un champ d’intégrité structurale, sans champ de chronitons. Sauter juste directement dedans, envoyer au diable la turbulence spatiale ? La Sirena est mon foutu vaisseau, hija.
- [Soji] Capitaine Rios, s’il vous plaît, ramenez-moi chez moi. Pour Jana. [Après une longue hésitation, Chris acquiesce, et prend les commandes de La Sirena]
- [Rios après que Soji lui a fourni des indications sur l’interface graphique] C’est entendu. [Et La Sirena passe à distorsion]

Picard s’assied donc sur le fauteuil du capitaine (un symbole persistant depuis Kirk), active énergiquement l’interface holographique… tandis que se font entendre les première notes de l’un des motifs musicaux enthousiastes de TNG… pour finalement avouer qui ne sait pas s’en servir.
Le gag de celui qui s’apprête à sauter avec élan pour faire finalement du surplace tombe ici un peu à plat (c’est le cas de le dire)... en se construisant au dépens du héros-en-titre. L’intention des auteurs est de faire passer Picard pour encore plus has been (tellement facile lorsque quelqu’un est âgé), mais ironiquement, c’est bien l’inanité de ces omniprésentes interfaces holographiques que les showrunners soulignent malgré eux.

Cette réunion de debriefing de tout l’équipage repose sur des dialogues en eux-mêmes assez écrits, rapprochant tous les personnages autour de tragédies finalement interconnectées et d’une cause désormais commune…
Commune oui, mais si peu trekkienne en vérité.
Bien entendu, le sujet est d’actualité, avec la banalisation des assistants vocaux au quotidien, le recours croissant à l’intelligence artificielle dans un nombre croissant de secteurs d’activité, susceptible de rendre à terme l’homme obsolète. Avec l’accélération des recherches en matière de systèmes experts, de transhumanisme, plus que jamais se développe l’appréhension de la genèse d’une Singularité, qui pourrait signer la fin du genre humain selon les pires angoisses de Stephen Hawking.
Mais d’une part, les showrunners de Picard semblent perdre de vue qu’il s’agit là d’une angoisse contemporaine, non de la fin du 24ème siècle, après plus de deux siècles de vies artificielles authentiquement sentients, sans oublier les ExH omniprésents au quotidien. Rien que les nombreuses IA photoniques luttant pour leur survie dans les mondes croisées par l’USS Voyager démontrent que le "seuil" que tente de vendre ST Picard n’est aucunement compatible avec les postulats évolutionnistes du STU. Le "seuil IA" n’y est pas celui d’une systémique apocalyptique (confondant loi naturelle et axiologie morale)... mais celui de la Singularité (aka sentience) qui peut bien entendu comporter de considérables risques mais qui a justement été depuis longtemps franchi dans le Trekverse).
D’autre part, les showrunners ignorent-ils qu’il n’existe pas aujourd’hui un thème plus banal, plus trivial, plus commun, plus ressasé, plus cliché que le "péril des IA/robots" en SF audioviduelle, depuis les mauvaises SF des années 50 aux classiques 2001 et Colussus : The Forbin Project, et a fortiori aujourd’hui après les indépassables Terminator, Odyssey 5, BSG 2003, Caprica, mais aussi les franchises de gaming comme Mass Effect ?
Pire, c’est une redite après l’exécrable seconde saison de Discovery. Soit un lamentable radotage d’une équipe scénaristique incapable d’innover, à la remorque ce qu’il y a de plus usé et resucé dans l’imaginaire. Soit une volonté de lier Discovery à Picard, ce qui ne rendrait pas service à cette dernière.

Si cette séance semble se rapprocher des grandes réunions conclusives qu’affectionnait Agatha Christie dans ses célèbres murder parties, lorsque le deus ex machina venait révéler solennellement le fond de l’histoire et l’identité du coupable, en réalité la dynamique est très différente. Parce qu’ici, chaque intervenant sans exception apporte une part de l’histoire (qui n’aurait pu être reconstituée sans chacun d’eux), ce qui relève d’une totale improbabilité hors de la prédestination d’une fantasy (où l’univers n’est pas neutre et prend part à la narration) ou de la Main invisible (d’un auteur démiurge qui confond externalisme et internalisme une nouvelle fois).
La parfaite complémentarité des dialogues, au point de parfaitement s’enchaîner, chacun finissant mutuellement les phrases des autres, ne fait pas pour autant une véritable alchimie entre protagonistes, mais renforce le caractère artificiel d’un univers composé sur mesure pour les héros.
Impression renforcée par le fait qu’il apparaît finalement que tous les personnages rencontrés ou évoqués dans la série se connaissent entre eux, sont de la même famille, ou possèdent des liens personnels directs à N+1 (Narissa-Ramdha, Picard—Rios, Soji—Rios...). Attributs même du soap dans un univers bonsaï.
En outre, la série suit une construction centripète, puisqu’au fur et à mesure de la progression et par un jeu de "destin" qui ne doit rien au hasard, toutes les forces et les enjeux en présence se réduisent inéluctablement aux seuls personnages connus et principaux du main cast, y compris dans les duplications de rôles (les cinq hologrammes de Rios, les multiples Asha passés et à venir...).
Cela a beau être une aventure galactique, cela n’en est pas moins un bel entre-soi digne d’une sitcom prenant pour cadre la jet-set de LA.

Malgré tout, en dépit d’une structure différente de celle des murders parties, Raffi Musiker tient ici à la marge le rôle d’un Sherlock Holmes. Car elle mène son enquête, interroge chaque membres d’équipage, y compris les cinq "éclats" inassumés de Rios (i.e. ses cinq hologrammes), et elle finit pour rassembler les morceaux et construire une théorie logique et vraisemblable (à défaut d’être prouvée et réelle). Mais certaines étapes du processus déductif ont tout de même été sautées ou accélérées (on sent le passage scripté du JdR et un coup de pouce du MJ). Par exemple, la rapidité avec laquelle, Raffi a conclu que parce qu’un système stellaire octonaire est naturellement improbable (et non impossible), cela impliquait non seulement qu’il a été construit artificiellement par une espèce potentiellement plus puissante que toutes celles connues (déjà assez osé comme conclusion directe), mais en sus dans l’unique but de délivrer un message liberticide sur les dangers des IA !!! Alors certes, cela correspond en effet à la "vérité" que nous assène la série via le Zhat Vash et l’Admonition, mais cela ne signifie pas pour autant qu’une telle supposition devrait couler de source pour qui ne dispose pas de toutes les informations. Quelle présomption anthropocentriste (et autocentrée) à l’échelle de la vie et de la mort des civilisations extraterrestres !
N’est-ce d’ailleurs pas en soi capillotracté qu’une civilisation aussi puissante que le Tkon Empire, les Iconians, le Slaver Empire, les Ancient humanoids, les Preservers… ait entrepris une opération aussi phénoménale, à plus de 3 sur l’échelle de Kardachev (déplacer ou créer des étoiles) uniquement pour délivrer une mise en garde (davantage théorique ou idéologique qu’universelle ou factuelle)… qui de toute façon n’avait pas besoin d’une telle mise en scène pour être propagée étant donné son caractère fortement coercitif. C’est, non plus la proverbiale montagne, mais la galaxie qui accouche de la souris.
Mais la disproportion (entre les moyens cyclopéens développés et l’objectif) se double ici d’une grande inefficacité fonctionnelle (provoquer le suicide immédiat est antinomique de la finalité même d’avertir) pour une création biotechnologique. En effet, si l’objectif des "grands Anciens" était de diffuser leur propagande à la façon d’un virus créé artificiellement, alors son R0 (taux de reproduction de base ou contagiosité en épidémiologie) est particulièrement faible donc inefficace, car pour générer 1 (au mieux 1,5) vecteur de transmission, il en tue neuf !
Autant dire qu’il faudrait "logiquement" suspecter un message dans le message, un virus dans le virus, un objectif caché derrière l’objectif apparent... selon la "tradition gigogne" de la série Alias... Mais ce qu’un simple spectateur échaudé par les arnaques kurtzmaniennes soupçonne immédiatement, comment se fait-il que cela ne traverse l’esprit d’aucun paranoïaque romulien ?

Par ailleurs, en révélant qu’il existe d’autres androïdes (notamment Jana) physiquement identiques à Soji et Dahj, mais que ce "modèle crypto-cylon" fut immédiatement détecté puis assassiné par la Sécurité de Starfleet il y a dix ans, Picard 01x08 Broken Piece frappe rétrospectivement d’incohérence le cœur même des premiers épisodes de la série, à savoir l’enquête confiée par Bruce Maddox aux deux "sœurs" Asha au sein des institutions les plus sécurisées (Daystrom Institute pour Dahj et Artefact romulano-borg pour Soji). Sachant que Jana était "grillée" depuis dix ans, ses sosies Dahj et Soji ont donc été envoyées à la mort (alors que le grand cybernéticien prétendait les aimer), et sans aucune chance de réussite dans leurs "investigations inconscientes" (stratégie aberrante, a fortiori venant d’un personnage supposé être une pointure intellectuelle).
Quant à l’hypothèse selon laquelle il n’existerait qu’un seul moule physique dans lequel tous les androïdes de Bruce Maddox auraient été coulés depuis dix ans, il y aurait vraiment de quoi se gausser. Le savant génial serait capable de reproduire le travail inimitable de Noonian Soong à partir d’un seul neurone de Data (absurde déjà à la base), mais il serait en revanche incapable d’en modifier l’apparence physique (en dépit des missions d’infiltration à haut risque prévues). De quoi rire, oui.
Serait-ce une intention mesquine de rogner sur le "budget acteurs", en confiant un maximum de rôles aux mêmes interprètes ? Déjà six pour Santiago Cabrera et bientôt plus de trois pour Isa Briones...
Voilà comment les révélations tardives d’une série feuilletonnante mal écrite et mal pensée comme Picard, non seulement ne corrigent aucune des nombreuses incohérences endurées en amont, mais décrédibilisent encore davantage l’édifice même sur lequel repose la série.

S’ajoute à cela l’absurdité stratégique d’une mission diplomatique avec l’UFP en provenance de la planète Coppelius où s’était réfugié Bruce Maddox. Que ce dernier soit le créateur de ces Synthétiques ou simplement en relation avec eux, il était proprement suicidaire de venir organiser un premier contact avec une civilisation dont le cybernéticien était particulièrement bien placé pour savoir qu’elle représentait une menace existentielle pour tout Synthétique… puisque justement Maddox l’avait fuie pour ces raisons. Ces Ambassadeurs cherchaient quoi au juste ? À révéler l’emplacement de leur monde pour se faire exterminer plus vite ?
Par ailleurs, comment la sécurité de Starfleet a-t-elle d’emblée su à distance que "Beautiful Flower" et Jana étaient des Synthétiques (lorsque l’équipage du vaisseau in situ ne le savait pas vraiment) ?
Et surtout, étant donné l’emplacement de la rencontre (c’est-à-dire le secteur Vayt qui englobe le système Ghulion et leur planète sanctuaire) et son obsession à débusquer et exterminer les Synthétiques, comment se fait-il que Oh – avec toutes les ressources de la Sécurité de Starfleet mais aussi du Zhat Vash – n’ait pas réussi à localiser par elle-même leur planète (Coppelius). Le lieu de ce premier contact (étouffé par des assassinats crapuleux) était pourtant une signature géo-spatiale. De plus, si l’objectif était bien de trouver le "nid" des Synthétiques (et pas seulement de se payer le "plaisir" d’un double meurtre après mise en confiance), la pragmatisme aurait au contraire voulu que les Synthétiques soient interrogés pour livrer des infos sur leur provenance.
De telles invraisemblances témoignent d’une inconsistance de réflexion et de planification dans l’écriture de la première saison. C’est parfois joli à la surface, mais quelques secondes de réflexion en relation avec tout ce qui a été montré depuis le début de la série, et l’édifice s’écroule tel un château de cartes, avec le sentiment d’une perte totale de temps.

Telle est la grande faiblesse d’un mauvais retcon. À l’instar du Zhat Vash auquel jamais la franchise n’avait fait référence auparavant mais qui devient désormais le centre de toute les attentions, on sort désormais du chapeau un activisme souterrain depuis 40 ans au sein de l’UFP (voire auparavant) pour contrer le développement des vies synthétiques. Sauf que cela contredit l’in-universe. Dans les séries précédentes (TNG-DS9-VOY), à aucun moment ni les autorités de l’UFP ni les Romuliens n’ont jamais cherché à freiner la cybernétique. D’emblée, Data fut intégré à Starfleet. Bruce Maddox puis l’Amiral Haftel était prêt à recourir à n’importe quel biais pour pouvoir dupliquer Data et en remplir les effectif de Starfleet. De même, nul ne mit des bâtons dans les roues de Data pour qu’il monte en grade, et il aurait pu un jour devenir capitaine voire amiral. Les Romuliens témoignèrent eux aussi de convoitise pour la créature de Noonian Soong, à l’instar de l’amiral Jarok qui dit à Data en le rencontrant pour la première fois en 2366 dans TNG 03x10 The Defector : « You’re the android. I know a host of Romulan cyberneticists that would love to be this close to you » !
En parallèle, les vies holographiques n’ont cessé de se multiplier et devenir aussi sentients que leurs modèles humains, puis se multiplier dans l’ensemble de l’UFP, aussi bien à l’ère de TNG... que contradictoirement dans la série ST Picard, sans être ni interdites ni persécutées.

Le recours spontané aux conduits de transdistorsion borgs ne tient manifestement pas tellement compte de l’effondrement du Transwarp Hub et la disparition du Collectif borg (mais pas des drones eux-mêmes) suite à la victoire des deux Janeway (l’Amirale venue de l’an 2404 et la Capitaine) à la fin de VOY 07x25+07x26 Endgame.
Mais il faut dire que Picard 01x08 Broken Pieces semble désormais faire abstraction de l’apport de VOY à la chronologie puisque l’assimilation de Ramdha après 2385 (révélée par cet épisode) établit que le Collectif borg existait toujours sept ans après sa destruction (normalement en 2378) !
En gros, de la même façon qu’il ne subsiste rien de l’utopie de TNG jusqu’à Nemesis, ni de la Fédération préservée par les Romuliens (durant la Guerre du Dominion) jusqu’à la fin de DS9... il ne reste apparemment rien non plus des accomplissements de l’USS Voyager.
Bah, la parade est aisée, il suffira juste de se dire que Janeway, dans toute son "arrogance" (comme Picard quoi !), croyait avoir détruit l’ensemble du Collectif borg tout comme l’ensemble des conduits de transdistorsion, mais ce n’était finalement pas le cas. Et ceux (Unicomplex/Unimatrix/Cube/Transwarp Hub…) qui ont survécu ont régénéré de proche en proche les autres (et notamment les Transwarp Conduits). Et hop : assurer le SAV des showrunners, c’est tout simple.

La Sirena file à distorsion, Picard et Rios sont restés seuls sur la passerelle.
- [Picard] Je me souviens, quand je faisais la garde de nuit en tant que jeune enseigne sur le pont du Reliant, que j’avais le sentiment d’être le seul à être réveillé... dans toute cette vacuité, tout ce silence. J’avais oublié, jusqu’à... maintenant... à quel point j’aimais cela. Je connaissais un peu Alonzo Vandermeer. C’était le premier officier d’une de mes camarades de l’Académie. Le capitaine Marta Batanides.
- Vous la connaissiez ?
- Non, mais... il me semblait la connaître. Elle était une légende pour le vieil homme, mon vieil homme, le capitaine Vandermeer.
- [Plongé dans ses pensées, Picard sourit] Savait-il qu’ils étaient synthétiques ?
- Il me faut croire qu’il le savait. Il a dû penser que pour cette raison... il pourrait vivre avec ça.
- Je ne le connaissais pas bien, comme je l’ai dit, mais... je sentais que c’était un type bien. L’un des meilleurs de ce que Starfleet pouvait offrir
- Il l’était.
- Je...
- Je déteste le fait qu’il soit mort en pensant que Starfleet l’avait trahi... s’était trahie elle-même.
- Mais Starfleet l’a vraiment trahi. Nous nous sommes trahis nous-mêmes, longtemps avant que Oh donne cet ordre à Vandermeer. L’interdiction elle-même était une trahison. Oh, le Zhat Vash a tendu le piège. Mais on aurait pu l’éviter. Au lieu de cela, on a permis à la peur d’exister.
- Ça lui a pris cinq minutes pour pirater mon vaisseau, Picard. Et maintenant, il y a peut-être toute une planète remplie de ses semblables ? Raffi a dit que les Romuliens l’appellent le Destroyer. Et s’ils avaient raison ?
- Ils ont peut-être raison sur ce qui s’est passé il y a 200 000 ans. Le passé est écrit, mais il nous appartient d’écrire l’avenir, et nous avons des outils puissants, Rios. L’ouverture, l’optimisme et un esprit curieux. Ils n’ont que le secret et la peur. Et la peur est le grand Destroyer, Rios, pas...
- [Soji apparaît et interrompt le prêche de Picard] On y est.

Soji Asha fait sortir La Sirena de distorsion, et ouvre le point d’accès au conduit de transdistorsion borg, tout en sortant la boussole que lui avait offerte Kestra dans l’épisode précédent (pour l’affect, non pour l’utilité).
Picard et Rios donnent alors leur aval, d’un geste synchrone de la tête, pour plonger dans l’antre. Mais c’est alors que la BO musicale optimiste de nombre d’opus de TNG se voit brisée par une dissonance : un vaisseau-éclaireur romulien embusqué sort de l’état d’occultation dans lequel il se trouvait et emboîte le pas de La Sirena.

Visiblement, les protagonistes ont abandonné leur projet de rejoindre Deep Space 12. Il faut bien qu’Agnes Jurati, en dépit de sa dangerosité et de sa perte de libre-arbitre, reste dans l’équipage (main cast oblige). Mais du coup, c’est sans le renfort de l’escadron de Starfleet que le modeste La Sirena devra affronter les Romuliens venus pour exterminer les androïdes de la planète de Soji.

Suggérer dans la scène finale que la Sirena avait été suivie tout du long sans même le remarquer par un vaisseau romulien occulté – probablement celui de Narek – constitue un twist typiquement kurtzmanien.
Une fois de plus, la mécanique est bien davantage celle d’Alias que des bonnes construction sérialisées contemporaines (de The Expanse à Devs). Parce qu’elle contredit directement ce qui avait montré dans Picard 01x07 Nepenthe. S’il s’agit bien du vaisseau de Narek, pourquoi celui-ci n’avait-il pas utilisé d’emblée son bouclier occulteur (spécialité romulienne) pour ne pas être remarqué par Rios et éviter que des mesures radicales soit prises pour détruire le traqueur de viridium dont Jurati était porteuse ? L’hypothèse de la feinte n’est pas recevable, car lorsque Narek a perdu le contact avec la balise de pistage (que Jurati a détruit au moyen d’hydrure de noranium), il était seul dans son cockpit et n’avait aucun raison de feindre la colère d’avoir définitivement perdu sa cible.
Mais dans les œuvres factices dont les artifices doivent toujours sortir de chapeaux vides, nulle doute que les showrunners de Picard, au pire ne s’embarrasseront pas de justifier cela par la suite (le seul impact psychologique de l’effet produit sur le coup étant supposé satisfaire les esprits), au mieux inventeront un rustine du genre Narek aurait trouvé un autre moyen technique pour reprendre la filature (à se demander à quoi servait alors le viridium tracker), ou deviné que La Sirena allait sur Nepenthe et l’aurait retrouvé là-bas (l’univers étant tellement petit), ou encore qu’il s’agissait d’un autre pisteur (le tiroir Narek masquant un autre tiroir derrière).
Par ailleurs, quelle était encore l’utilité de suivre les pérégrinations de La Sirena avec les informations que Soji avait livrées à Narek et à Narissa durant la séance de Zhal Makh (méditation romulienne) ? Si le bourlingueur de capitaine Crandall sur Nepenthe est parvenu à identifier sur la seule base de la description fournie (deux lunes rouges et des éclairs) en quelques secondes le système Ghulion dans le secteur Vayt, comment se fait-il que le Zhat Vash et/ou le Tal Shiar romulien n’en ait pas fait de même encore plus vite ? Pire, la planète en question est signalée par Narissa avoir été localisée depuis le teaser de l’épisode, ce qui rend ce coup de théâtre final d’autant plus risible.

L’introspection finale de Picard en présence de Rios rapprochera comme jamais les deux hommes, car en dépit d’une multitude de doutes, de regrets, d’exaspération dans un premier temps, Picard aura finalement déclenché une chaine d’événements qui aura donné un sens à la tragédie fondatrice de Chris, lorsque la dystopie anti-trekkienne lui a fait perdre son père spirituel, l’a conduit à trahir tout ce pour quoi il s’était engagé, et lui a valu de se faire virer de Starfleet pour devenir un aventurier.
Les belles leçons que délivre Picard dans ce dialogue intimiste, en réaffirmant les idéaux trekkiens, trouvent pour la première fois un auditoire réceptif en dehors de lui-même, dans la mesure où Rios se révèle être finalement un compagnon d’infortune, victime de la même trahison systémique que le héros-en-titre. Il est facile de détecter ici la première étape de la Reconquista trekkienne par Picard que projettent les auteurs. Il ne reste maintenant plus qu’à convaincre tous les autres membres d’équipage, puis l’anti-Starfleet, puis l’anti-UFP. Cela prend en somme le chemin de Dylan Hunt dans Andromeda…
Malgré tout, même si cette séquence est probablement celle de tout l’épisode qui tient le mieux en terme de construction relationnelle et d’intégration dans une narration sérialisée (tout est relatif), elle réussit à conférer une dérangeante naïveté pour ne pas dire une immaturité prêchi-prêcha au discours de Picard (sur l’optimisme), tant par la formulation elle-même (façon crédo idéologique) que par le contraste décalé envers les hypothèses contestables d’un basculement brutal dans la dystopie... où du jour au lendemain Starfleet serait devenue une organisation mafieuse et criminelle, au nez à la barbe des milliers de mondes constitutifs de l’UFP, sans que nul officier intègre et aguerri ne dénonce les ordres d’assassinats sous la menace de mort des équipages.
Parce que l’effet pervers de la normalisation du cynisme à l’aune contemporaine façon House Of Cards (ce que fait ST Picard depuis son pilote), c’est de frapper de ridicule – voire rendre inaudible – des expressions idéalistes décontextualisés et passant du coup pour autistes envers les postulats de la série. Quand bien même lesdits postulats n’auraient rien de réalistes...
Car voudrait-on faire croire que c’est à l’infiltration par une seule personne (Oh), aussi efficace soit-elle, qu’une société intergalactique, intégrant des ressources et des savoirs venues d’innombrables mondes très avancés techniquement et moralement, doit son complet basculement. Une déresponsabilisation qui respire, pas même le passage scripté de jeu de rôle, mais la dinette pour enfant.
Il est à craindre désormais que les showrunners de Picard prétendent restaurer l’utopie trekkienne par le simple fait de confondre Oh et de neutraliser le Zhat Vash, soit exactement la même prestidigitation qu’à la fin de la première saison de Discovery lorsqu’ils ont restauré Michael Burnham dans son grade et son honneur, mais non sans avoir complètement truqué les règles du jeu en cours de saison, rendant toute l’aventure absurde.
Tout en recyclant la thématique particulièrement bancale de la seconde saison de Discovery, Contrôle devenant... le seuil de l’Apocalypse IA, et la Sphère rouge sentient… l’Admonition. Peut-être même avec l’intention de relier causalement les deux en internaliste, et ainsi Discovery aura pleinement contaminé Picard.
Auquel cas, la Sphère sentient dont l’USS Discovery a trimballé inutilement les archives (sentients également) au 32ème siècle proviendrait de la civilisation ancienne qui a construit le Conclave des Huit et l’Admonition. À moins que cette civilisation mystérieuse, pas forcément si disparue que ça (façon Iconiens dans Star Trek Online), s’avère le principal ennemi de l’UFP du 32ème siècle et la cause de sa réduction a une peau de chagrin. Peut-être enfin, le retour du "Seb Chebeb" alias le "Destroyer", ce serait tout simplement Contrôle ! Quelle perspective réjouissante.

Bien sûr, Picard connaissait feu le capitaine de Chris Rios, Alonzo Vandemeer… au travers d’un personnages de sa jeunesse à Starfleet Academy mis en scène dans le magistral TNG 06x15 Tapestry de Ronald D Moore, à savoir Marta Batanides (dite Marty), interprétée alors par J.C. Brandy, et qui aura atteint le grade de capitaine à en croire Rios.
L’empressement de la série Picard à multiplier les placements internalistes uniquement pour donner des gages aux trekkers, mais en aucune façon pour servir le worldbuilding, contribue à chaque fois à miniaturiser un peu plus un univers pourtant de dimension galactique. Toujours le même syndrome centripète que dans Kelvin...

Jean-Luc déclarera avoir servi comme enseigne à bord de l’USS Reliant... du même nom que le vaisseau dont s’était emparé Khan en 2285 dans Star Trek II : The Wrath Of Khan. Mais c’était un siècle trop tôt et ce dernier a de toute façon été détruit. Il s’agit donc d’un USS Reliant du 24ème siècle... dont parlaient justement Picard et l’Amiral Nakamura dans la version étendue (disponible en Blu-ray uniquement) de TNG 02x09 The Measure Of A Man.
Visiblement, Michael Chabon désire tellement montrer avec ostentation à l’assistance sa parfaite connaissance du "lore" de Star Trek… qu’il va désormais chercher des pointeurs dans les scènes coupées ! Mais cette exhibition tapageuse ne rédime pourtant en rien les contresens, les nawaks, et les inconséquences qu’enchaîne la série Picard, y compris dans un épisode faussement éclairant comme Broken Pieces. D’autant plus que tous les pseudo-alibis de compétence des showrunners de la série sont aujourd’hui accessibles en deux clics sur les wikis.

La triste réalité, c’est que pas une seule des incohérences, pas un seul des bullshits recensés dans les épisodes précédents n’a été vraiment solutionné par cet épisode, en dépit du poids non négligeable des révélations apportées.
À la marge, trois trous scénaristiques auront été marginalement réduits, mais sans être colmatés pour autant :
- L’émetteur Fenris Rangers trouvé par hasard dans le Cube par Elnor n’était pas celui semé par Picard, mais celui de feu Hugh, trouvé dans son bureau. La probabilité de tomber sur lui n’était donc pas aussi infime que supposé (s’il s’était agi de celui de Picard), mais elle restait malgré tout faible.
- La moitié romulienne de Oh est réputée expliquer le port ostentatoire des lunettes de soleil dans Picard 01x03 The End Is The Beginning. Sauf que cette justification ne survit guère à une observation approfondie. Si les Romuliens sont à la base la même espèce que les Vulcains, ils devraient disposer de la même paupière interne (ou inner eyelid) dans la mesure où leur séparation remonte à environ deux millénaires, ce qui n’est suffisant ni pour un bouleversement astronomique (par ex. évolution majeure de luminosité d’un soleil) ni pour un seuil évolutionniste (par sélection naturelle). Mais si les Romuliens ne disposent malgré tout pas de cette paupière interne (ou du moins qu’elle n’est pas aussi efficace), alors porter des lunettes de soleil en public serait particulièrement incriminant pour quelqu’un qui occupe le poste le plus sensible de tout Starfleet.
- Le caractère métisse (Vulcaine/Romulienne) de Oh est également supposé expliquer qu’elle soit à la fois membre (voire à la tête) du Zhat Vash et capable de pratiquer le Mind Meld pour forwarder télépathiquement à n’importe qui l’Admonition tel un mème audio-visio-sensoriel. Cependant, le Mind Meld infligé par Oh à Jurati était différent en nature de tous les Mind Melds jamais mis en scène dans la franchise. Sans même en passer par une phase de perte d’identité comme dans TOS 02x25 The Omega Glory ou de coma comme dans VOY 07x04 Repression, cette fusion mentale-là s’est avérée capable de directement imposer une volonté étrangère à l’esprit de la victime sans pour autant que celle-ci ne perde la pleine conscience morale de ses actes... probablement en raison de la nature de l’Admonition qui aura transmise ISO par Oh. Une forme d’hybridation entre le Mind Mind "normal" et le pur lavage de cerveau… mais offrant la commodité aux auteurs de faire un peu ce qu’ils veulent ensuite selon les besoins : la plupart deviennent fous, se mutilent et/ou se suicident ; d’autres deviennent des zélotes terroristes ; et finalement, certains peuvent évoluer au gré des besoins scénaristiques : tuer un peu, mais pas trop, moyennant une contrition accélérée.

Mais il est dommage que dans toute cette diversité de réactions possibles, il ne se soit pas trouvé de pragmatiques Romulien(ne)s, par exemple au sein du Tal Shiar qui n’ignorait rien du Zhat Vash, pour questionner et déconstruire la vérité d’un message transmis il y a plus 200 000 ans et qui souffrait d’une validité très suspecte au regard de son atteinte flagrante au libre arbitre des sujets exposés. Est-il logique qu’en plusieurs siècles d’activisme, le Zhat Vash ait mécaniquement et aveuglément poursuivi son apostolat funeste, lorsqu’une fragile humaine comme Agnes Jurati aura réussi à trouver en elle la force morale de résister à la tentation d’assassiner davantage, et que Picard a immédiatement compris qu’il y avait au minimum un sophisme, au pire un virus voire un piège dans l’Admonition.
VOY 06x14 Memorial avait déjà mis en scène dans les tréfonds du Quadrant delta une forme comparable d’avertissement à l’attention de la postérité, mais l’équipage avait réussi à s’arracher à son influence par la vertu de la raison.
Étant donné leur pragmatisme et leur force de caractère, leur immunité envers toutes les formes de manipulations exogènes, voire ce fond de logique qu’ils partagent avec leurs ancêtres Vulcains, c’était bien les Romuliens qui auraient dû être les premiers à déconstruire ou du moins relativiser l’Admonition. Mais il est désormais clair que les Romuliens de Picard (comme de Kelvin) ne sont pas ceux de Star Trek.

Conclusion

Considéré hors de toute continuité, aussi bien envers le STU qu’envers les sept précédents opus de la série, Picard 01x08 Broken Pieces est un épisode exclusivement character driven qui réussit à rapprocher l’équipage de La Sirena autour de tragédies passées en partage et d’une cause désormais commune, par-delà les travers, les faiblesses, et mêmes les crimes individuels. Il pourra donc séduire et toucher ceux qui suivent ST Picard pour l’amour porté aux personnages principaux… et en particulier Picard, Rios, Musiker, Soji, et Jurati qui parviennent à composer une vraie symphonie soap... avec pathos garanti... mais néanmoins moins de manipulation émotionnelle que dans l’épisode précédent. Avec en bonus quelques touches d’humour comme le running gag des cinq ExH réunis pour tenter de reconstituer le passé de Rios où Santiago Cabrera donne toute la mesure de sa "versatilité" (au sens anglophone).
Bénéficiant d’une écriture plus organique et d’une fluidité narrative accrue (probablement imputable à la signature Michael Chabon), sa mise en scène, sa BO et les effets visuels sont parfois impressionnants (mention spéciale aux scènes cubiques et notamment l’expulsion de la "marée de drones" dans l’espace).
Il faudra néanmoins s’accommoder de la turbo-rédemption de Jurati (qui escamote la problématique dostoïevskienne que son cas appelait), des génocides gratuits par Narissa (un personnage toujours aussi unidimensionnel mais qui loupe ici une belle occasion de gagner en épaisseur), et de l’improbable transformation de Seven en reine Borg... pour rien (quelques minutes de fan-service qui ruinent 25 ans d’évolution).

Malheureusement, rapporté à la continuité interne et plus généralement au Trekverse, Picard 01x08 Broken Pieces ne tient quasiment aucune des promesses de son ambition... rétro-justificative.
Oui, pas mal d’informations et de "réponses" sont apportées, et elles donnent l’impression de faire avancer le récit.
Sauf que ce pluriel est surtout très singulier : l’Admonition cosmopolite de synthèse relève d’un concept cryptique, polymorphe, dont tout découle, et qui réussit à avoir réponse à tout, donc à rien. C’est ni plus ni moins l’ombre de Milos Giacomo Rambaldi (Alias) qui revient en force !
Et au festival de WTF et de nawaks accumulés par les sept premiers épisodes, et toujours non résolus, ce huitième épisode en ajoute une collection de nouveaux, comme s’il s’agissait d’un tableau de chasse..
Certes, l’épisode abat de nombreuses cartes, mais celles-ci sont surtout des jokers.
Certes, l’épisode fournit de nombreuses pièces, mais ces dernières ne s’intègrent guère dans le puzzle, et l’échiquier n’est toujours pas jouable.
Certes, l’épisode rapproche les personnages principaux, mais ceux-ci étaient tous prédestinés à se rencontrer dans cet univers de poche et leur complémentarité s’inscrit dans un grand dessein... selon la grammaire messianique de la fantasy.
Picard 01x08 Broken Pieces révèle aussi à quel point la série plagie sans retenue et pompe sans complexe sur d’autres univers imaginaires : Mass Effect, Dune… avec une touche de New Age druidique.
Et the last but not the least, Discovery semble y avoir métastasé : sa première saison imprime l’empreinte de sa profonde triche narrative envers la problématique dystopique, et sa seconde saison inflige au ressort thématique de Picard le catalogue des truismes les plus éculés sur l’apocalypse, non pas Z, mais IA..

Et par-delà toute considération internaliste – une cause désormais perdue et enterrée –, qu’il est triste de voir désormais une série portant le label "Star Trek" être à ce point à la remorque de ce que les autres œuvres de SF ont déjà fait si souvent, et en tellement mieux

Note Star Trek :

Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité