Analyse
Par Yves Raducka
Lorsque le Star Trek roddenberro-bermanien s’était essayé au dessin animé, c’était pour se tourner d’emblée vers une forme d’expression adulte (Star Trek The Animated Series), en dépit des préjugés amalgamants de son temps (1973-74), précédant ainsi de plusieurs décennies la norme des Simpsons, South Park, et autres Family Guy. Il est donc assez symptomatique que le Star Trek kurtzmanien opte en 2019 pour une animation d’un style et d’un ton résolument infantile…
Enfin soit. C’est du kids entertainment, prenons-le donc comme tel.
En faisant des "héros" antagonistes de Short Treks 02x04 Ephraim And Dot un tardigrade mycélien (sorti de l’antiscience-pour-rire de la saison 1 de Discovery) versus un petit robot de maintenance DOT-7 de l’USS Enterprise NCC-1701 de Kirk (introduit également dans le retcon Discovery), Short Treks tente – oui tente – de rendre hommage à l’esprit barré de Tex Avery, peu ou prou à la façon de l’inénarrable Farscape 03x16 Revenging Angel.
Mais si Michael Giacchino réussit à insuffler une vraie dynamique cartoonesque old school (de Tom and Jerry à Bugs Bunny en passant par Road Runner and Wile E. Coyote) qui emportera donc sans difficulté le spectateur dans un roller coaster spatial, il repose malgré tout sur des arguments narratifs difficiles à déchiffrer, y compris à travers le prisme du dixième degré d’un anime-à-ne-surtout-pas-prendre-au-sérieux.
Même en mode régressif-udulescent-gloubi-boulga-osef, difficile d’articuler ce documenteur – nommé The Tardigrade In Space – avec la continuité trekkienne qu’il prétend pourtant revisiter avec force démonstrativité…
En effet, les improbables tardigrades de type Ripper rencontrés dans DIS 01x05 Choose Your Pain sont supposés emprunter le non moins improbable mycelial network grâce à leur osmose génétique avec les prototaxites stellaviatori. Cela n’impliquait donc en aucune façon une quelconque capacité naturelle à voyager en distorsion, et encore moins dans le temps ! D’autant plus que même si l’on assume la réalité des événements de Discovery, cela n’autorise pas à ignorer la déclaration de Data (embarquant tout le savoir de la Fédération en 2366) dans TNG 03x20 Tin Man quant à l’impossibilité de voyager à distorsion autrement que par des moyens artificiels (du moins avant la rencontre avec Gomtuu).
Dans Short Treks 02x04 Ephraim And Dot, le gentil tardigrade Ephraim dépose sa couvée dans l’USS Enterprise, durant TOS 01x24 Space Seed (2267), peu après les premiers échanges de Kirk et McCoy avec un Khan alité, fraichement ranimé de son long séjour dans le SS Botany Bay.
Mais après une avalanche de péripéties comiques et de gags visuels l’opposant au robot-mignon DOT-7, Ephraim croise les Tribules de TOS 02x13 The Trouble With Tribbles (2268)... donc au prix d’un soudain bon d’un an dans le futur, avant d’entrevoir et d’entrentendre en toile de fond Sulu se prenant pour D’Artagnan sous l’emprise de la polywater intoxication dans TOS 01x06 The Naked Time (2266), moyennant donc un inexplicable rembobinage de deux ans !!!
Euh... WTF ?!! Les auteurs mélangent les pages de l’herbier, s’embrouillent dans les épisodes, et se prennent les pieds dans le tapis... Car même en supposant que ce super-tardigrade soit un voyageur temporel, quel sens cela aurait-il pour lui de visiter le vaisseau plus d’un an avant d’y avoir déposé ses œufs (au risque d’altérer sa ponte "future") ?
Après que DOT-7 réussit à expulser Ephraim du vaisseau, ponctué d’un sarcastique "life long and prosper" (davantage d’humour qu’un Vulcain !), s’ensuivent d’incessantes courses-poursuites en distorsion de l’USS Enterprise qui conduiront le tardigrade à croiser la mythologique main d’Apollon dans TOS 02x04 Who Mourns For Adonais ? (2267), le planet killer dans TOS 02x06 The Doomsday Machine (2267), le piège tholien dans TOS 03x09 The Tholian Web (2268), le simulacre excalibien d’Abraham Lincoln dans TOS 03x22 The Savage Curtain (2269)... et seize ans plus tard (ouais direct !) les attaques de l’USS Enterprise refitée par l’USS Reliant dans ST II The Wrath Of Khan (2285) puis par le Bird-of-Prey du Klingon Kruge ST III The Search For Spock (2285)... avant sa mythique autodestruction en orbite de la planète Genesis !
Mais ce requiem vaudra au petit robot-cerbère DOT-7 de sauver par pur bonté d’âme (évidemment) la progéniture à peine éclose (les bébés tardigrades sont si mimis !) du malheureux Ephraim épuisé par ses deux décades non-stop de traque.
Tout est donc bien qui finit bien... au royaume de Nickelodeon.
Ce balayage au pas de course de tout le timeframe du vaisseau classique de James T Kirk – qui aurait presque pu être sous-titré "vie et mort de l’Enterprise" – se conjugue par un name/image dropping outrancier et un medley enfiévré dont le défilement à géométrie temporelle très variable et à l’échantillonnage défiant toute probabilité (uniquement les moments de TOS les plus cultes dans la culture populaire) tient d’une offrande sacrificielle au fan service le plus putassier.
En somme, l’exhibition kéké de la pire cuistrerie abramso-kurtzmanienne qui indexe le degré de trekkisme des productions sur le nombre d’Easter eggs alignés – réputés être autant de gages de connivences à l’endroit des trekkers les plus suivistes.
Tout en multipliant les contresens et les gaffes... à l’instar de la confusion grossière entre le NCC-1701 refité (qui se meurt dans Star Trek III The Search For Spock) et le NCC-1701-A (qui sort des chantiers astronautiques seulement à la fin de Star Trek IV The Voyage Home).
Sauf que le narrateur du faux docu The Tardigrade In Space n’est autre que Kirk Thatcher ayant jadis interprété le punk de la célèbre scène de bus du film dédié aux baleines à bosse !
Du coup, comment interpréter ce clin d’œil (un peu plus subtil que les autres) ? La coquille visuelle du NCC-1701-A serait-elle volontaire, comme pour bien entériner une timeline distincte ?!
Même si le relativisme demeure l’un des fondements de la SF trekkienne, où les combats les plus modestes ne se mesureraient pas forcément à la même échelle de temps que les faits historiques les plus ambitieux… est-il possible pour une simple partie de fun d’avaler :
- que vingt-deux longues années d’aventures épiques du NCC-1701 aient seulement représenté un éphémère "terrain de jeu" (quand bien même elliptique) pour un tardigrade discoverien ?
- Que durant une même scène connexe à bord de l’USS Enterprise, Ephraim ait successivement été témoin (avec le plus grand naturel s’il vous plait) d’événements se déroulant en 2267, en 2268, puis en 2266 (avant même son arrivée) ?
- Qu’aucune des innombrables intrusions de cet alien n’ait jamais été signalée par le DOT-7 au personnel de sécurité et/ou de commandement ?
- Qu’un être capable de voyager aussi aisément dans l’espace et apparemment aussi dans le temps en soit réduit à courser l’Enterprise-Jerry tel un Tom spatial ?
- Que soit ignorées les innombrables trajets en impulsion et les longues périodes de stationnement du navire, notamment dans les spatiodocks ?
- Qu’une forme de vie aussi spatiotemporellement évoluée (voire omnipotente) dépende d’un vaisseau humanoïde pour pondre ?
- Que durant le refit intégral de l’USS Enterprise en 2270 (entre la fin de la série originale et le début ST The Motion Picture), nul technicien (biologique ou robotique) n’ait trouvé à bord les œufs d’Ephraim (alors que cette espèce discoverienne de tardigrade est loin d’être microscopique) ? (...)
En outre, abandonner à l’autodestruction (et plus généralement exploiter/asservir) des sujets robotiques révélant une aussi grande autodétermination et une aussi généreuse sentience que DOT-7 n’expose-t-elle pas l’UFP à de graves manquements éthiques ?
Oui, décidément, pour cette séance de montagnes russes très slapsticks, où l’absurde le dispute au nawak, abandonnez votre temps de cerveau disponible et laissez toute intelligibilité au vestiaire...
Et pourtant, fort paradoxalement, c’est le plus délibérément invraisemblable des épisodes kurtzmaniens qui s’avère à ce jour le moins irrespectueux de Star Trek TOS !!!
Faut-il y voir un symbole gorgé d’ironie mauvaise ?
Car en dépit de cette stylisation animée (vintage ou moche selon les goûts) d’un univers live à la base, avec Short Treks 02x04 Ephraim And Dot, c’est bien la toute première fois depuis 2009 (et donc a fortiori depuis 2017) que l’on retrouve (durant de trop brefs instants) les designs (passerelle, Jefferies tubes, salle des machines...), les ambiances, les dialogues, et mêmes les voix de TOS… tandis que Discovery n’avait cessé de relifter, rebooter, et transgresser sans retenue tout ce qui faisait l’identité artistique et contextuelle de la série originale !
Alors est-ce un acte manqué révélant le besoin inconscient de davantage respecter le Star Trek qui fut, voire même un "pieux appel" à travers la sandbox de l’animation pour une meilleure intégration intradiégétique ?
Ou bien à l’inverse, est-ce l’expression d’un complexe branchouille (et insultant) envers la chronologie historique qui ne peut désormais plus exister que dans l’écosystème d’un cartoon-à-ne-surtout-pas-prendre-au-sérieux ?
Ou encore, plus trivialement, est-ce une incapacité pathologique de l’univers discoverien à être cohérent envers ses propres incohérences ?
En cherchant à soumettre rétroactivement la timeline de la série originale aux partis pris ultra-fumeux de Discovery (réseau mycélien, tardigrades multidimensionnels, magie en lieu et place des sciences…), Short Treks 02x04 Ephraim And Dot accouche d’une ligne temporelle chimérique, plus vraiment celle de DIS, mais pas encore celle de TOS.
Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité