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Nouvel Eden
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Critique
Par Frank Mikanowski

Le premier épisode de la seconde saison de Discovery m’avait laissé un goût amer en bouche. De l’action incessante, du bruit omniprésent, des dialogues abrutissants, le tout était pour moi l’antithèse de ce qui fait Star Trek. Et miracle, cette semaine, nous avons l’inverse de ce premier épisode, et le goût en bouche est du coup bien plus doux.

Félicitations d’abord à Jonathan Frakes à la réalisation. Notre Riker bien-aimé connaît son métier et sait ce qui doit être mis en lumière dans un Star Trek. S’il n’a pas oublié l’action, il sait quand il doit donner du temps aux dialogues, à la réflexion et au développement des personnages. Et c’est fabuleux de voir la différence d’interprétation du cast entre les deux épisodes quand ceux-ci ont enfin du temps pour jouer leur personnage.

À l’annonce des thématiques de cette seconde saison, la famille au sens large et la confrontation entre science et religion, on pouvait se poser des questions tant la seconde thématique avait toutes les caractéristiques d’un chemin casse-gueule. Questionner la religion à l’aulne des connaissances scientifiques des membres de Starfleet, why not, surtout que le thème n’est pas étranger à la franchise. De nombreuses civilisations rencontrés dans de multiples épisodes étaient mues par leur croyance religieuse, mais Starfleet a toujours fait contrepoids et démontré que l’action des « dieux » était le résultat de phénomènes explicables scientifiquement ou de civilisations extraterrestres avancées.

Félicitations donc aux scénaristes de cet épisode pour leur brillante mise en place de cette thématique dans le présent épisode. Loin de s’éloigner de l’orthodoxie trekienne, l’épisode rappelle bien le choix des Terriens de la Fédération de s’éloigner des religions de la Terre et de rechercher avant tout l’explication scientifique. Les dialogues entre Michael Burnham et Christopher Pike sont superbement bien écrits avec pleins de nuances. On sent bien que l’enfance de Pike et ses relations familiales vont jouer un rôle dans les prochains épisodes. Quant à Michael, le fait que l’ « ange rouge » ne soit pas une hallucination est une claque à ses certitudes scientifiques. On comprend mieux la situation psychologique dans laquelle Spock doit être, ce sont les interrogations de Burnham au centuple.

La difficulté pour juger l’épisode sur ce thème vient du fait qu’on n’a pas la réponse à la problématique et on ne l’aura sans doute pas avant le final de saison. Soit l’ange est en définitive une créature extraterrestre évoluée qui teste l’humanité et la Fédération avec ces signaux, et l’épisode est pour moi simplement parfait. Soit l’histoire va tendre vers une remise en cause de la position de Star Trek sur la religion, et là, je vais être beaucoup moins d’accord.

Il y a une troisième personne cette semaine à voir ces certitudes vaciller, c’est Tilly. Le personnage est certainement, on le voit dans vos commentaires, le moins apprécié de la série. Pas tant à mon avis à cause de Mary Wiseman, son interprète, mais par sa profonde nature. Tilly est une inadaptée, surdouée, mais avec une nature incontrôlable. Les réactions à son égard me font énormément penser au bashing qu’a dû subir Wesley Crusher dans TNG et heureusement que Twitter n’existait pas à l’époque. La haine de ce personnage et le refus de la voir à l’écran dit beaucoup de choses, en fait, sur nous-même...

Mon seul bémol reste le début de l’épisode qui nous gratifie à nouveau d’un techno-blabla sans aucun sens. Il serait temps que la production recrute une personne compétente pour imaginer et écrire ces moments qui sont loin d’être anecdotiques dans un Star Trek.

En tout cas, je suis sûr d’une chose, New Eden est pour moi le premier véritable épisode de Discovery à répondre à toutes les cases d’un très bon Star Trek, et en tout cas le meilleur épisode à ce jour de la série. Je croise les doigts pour la suite.

Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité

Analyse
Par Yves Raducka

Effectivement, Frank, Discovery 02x02 New Eden est à ce jour l’épisode de la série qui reproduit le mieux la forme, mais aussi le ton et la structure narrative (? fond) d’un authentique Star Trek pré-2009. L’épisode s’accorde du temps pour penser, pour parler, pour questionner. Les dialogues sont fort écrits, parfois même brillants. Tout en suivant le fil rouge sérialisé des red bursts, ce loner affirme son identité propre en renouant avec les fondamentaux exploratoires trekkiens. On investigue le mystère d’une colonie humaine pré-warp à l’autre bout de la galaxie, on tente à toute force de respecter la Prime Directive (mais sans y parvenir comme à l’accoutumée), on débat de choix moraux, d’évolutionnisme, de perception, de vie et de mort. On sauve une civilisation de l’extinction, on sympathise avec les indigènes et on en initie certains aux réalités cosmiques. Les mystères sont partout, insondables, fascinants.
En outre, Anson Mount est de plus en plus à l’aise dans son rôle, une confiance et même une alchimie entre lui et Burnham se mettent progressivement en place.
La mise en scène est fluide, élégante, à la fois nerveuse et introspective, c’est Jonathan Frakes à son sommet (presque vingt-trois ans après avoir réalisé le meilleur film Star Trek à ce jour, à savoir First Contact).
Formulé ainsi, New Eden est quasiment une perfection trekkienne, dont nul n’imaginait à ce jour Discovery capable. Littéralement un électro-choc, une révélation, l’exaucement du rêve secret de tout trekker bien né.

Oui... oui… sauf que... non !
Car il y un catch, un hic… décliné il est vrai au conditionnel… mais qu’une lecture attentive de l’épisode ne permet pas d’ignorer.
Hélas.

Parce que ça y est, nous y sommes. En plein dedans. Et pas jusqu’au mollet mais jusqu’au menton. Et pour le coup, ce n’est pas un twist, tant c’était inscrit dès l’origine dans l’ADN même de la série, notamment depuis Discovery 01x13 What’s Past Is Prologue (où feu Hugh Culber était revenu tel un ange d’Always pour guider Stamets et l’USS Discovery à travers le mycelial network), eu égard aux annonces d’Alex Kurtzman pour la saison 2, et enfin avec l’apparition dans DIS 02x01 Brother de l’Ange rouge assorti d’une BO envoûtante.
La thématique religieuse s’est désormais pesamment invitée dans la série, avec tous ses corollaires potentiels d’interrogations, de questionnements, d’espérance, de sotériologie, d’eschatologie, d’iconographie, de foi, de vénération, de doctrine, de rites, d’apparitions, de surnaturel, de révélation, et de mystère. Un panel de problématiques de fond qui auront nourri l’art et la littérature humaine depuis toujours, mais que la science-fiction aura été le seul genre d’expression à transcender.
Dans sa dimension historique, sociologique, philosophique, et métaphysique, la religion a bien entendu toute sa place en SF et dans ST, et la franchise historique (1964-2005) n’a jamais cessé de mettre en scène des cultures empreintes de croyances diverses. La foi fait partie de la vie sentient et du développement des civilisations, les religions pouvant même avoir une fonction fédératrice ou structurante. Toutefois, ce qui caractérise une approche science-fictionnelle – et a fortiori trekkienne – c’est de porter un regard extérieur, externalisé, distancié sur toutes les formes de métaphysiques, de telle sorte que celles-ci ne débordent jamais du cadre de la subjectivité. Le point de vue (voire le point de mire) conducteur ou dominant doit être celui de l’exo-éthologue pour qui toute religion est une cosmogonie et/ou un système organisé de croyances, mais qui ne réussit pour autant jamais à définir, refléter, ou décrypter dans sa complétude la nature réelle et causale de l’univers - icelui conservant opus après opus son inaccessibilité et son irréductibilité. En d’autres termes, en science-fiction, une religion spécifique ne doit jamais pouvoir devenir une vérité objective universelle verrouillant dans un dogme ou dans une axiologie l’essence de la vie, de la mort, du cosmos, et de l’existant. À l’inverse, toute SF doit être universellement inclusive, c’est-à-dire laisser une place équivalente à toutes les croyances subjectives possibles (et contradictoires entre elles) y compris l’agnosticisme, le scepticisme, l’athéisme, le nihilisme… dont la pleine coexistence est possible à la seule condition que la réalité de l’univers n’en favorise ni n’en légitime aucune. Avec pour corollaire premier que la mort devra toujours conserver son inintelligibilité... et donc l’au-delà (ou afterlife) son indécidabilité.
On parle alors de neutralité épistémologique. Exactement comme dans le domaine des sciences où un raisonnement scientifique cesserait immédiatement de l’être s’il s’appuyait d’une quelconque façon sur une croyance ou un acte de foi.
C’est la raison pour laquelle le ST roddenberro-bermanien s’est toujours employé soit à relativiser les religions (qui s’avèrent toujours des convictions subjectives indémontrables parmi une infinité d’autres), soit à en démystifier les objets (e.g. les "divinités" rencontrées se révèlent être des I.A. ou des extraterrestres très avancés sur l’échelle de l’évolution).
Même la série DS9 – ayant pourtant accordé aux problématiques religieuses et métaphysiques une place centrale – ne contrevenait jamais aux fondamentaux science-fictionnels, puisque les entités sujettes au culte bajoran se sont révélées dès le pilote de la série n’être "que" de puissants aliens, existant sur un autre plan d’existence (atemporel et dans un trou de vers). Or si par la suite, DS9 a exploré les complexes (et redoutables) modes d’interactions de ces extraterrestres immatériels avec la vie humanoïde (et notamment bajorane), il n’y a pour autant jamais eu dans la série la moindre ambigüité quant à la nature extraterrestre (et non divine) des Prophets, quand bien même la plupart des Bajorans continueraient à les vénérer (mais davantage comme protecteurs naturels que comme divinités à proprement parler).

Mais avec Discovery 02x02 New Eden, nous entrons sans retenue dans l’équivoque et l’incontinence. La pente y est particulièrement glissante et l’épisode a déjà un pied dans l’autre royaume.
Alors certes, comme l’a fort bien écrit Frank, tant que l’arc thématique des Anges rouges ne sera pas achevé (probablement en fin de saison 2), il ne sera pas possible de porter un jugement définitif sur le degré de respect ou de trahison ontologique du genre SF et philosophique de l’esprit ST.
Malgré tout, il y a dans Discovery 02x02 New Eden une masse critique d’indicateurs (relevant aussi bien de la narration, du sens, que de la sémiotique) qui conduisent à être extrêmement pessimiste quant à l’objectif final des auteurs.
- L’inventaire à la Prévert débute par la précognition de Spock lui ayant permis de pressentir (avec une précision cartographique) les sept red bursts galactiques longtemps avant qu’ils ne se produisent (ce qui le conduira d’ailleurs à se faire volontairement interner). Dès lors, il n’y a qu’un pas à franchir pour supposer l’existence d’un lien spirtuel intime entre lui et les Anges rouges.
- Pike révèle à Burnham que son père était à la fois un professeur de sciences et un enseignant en religions comparées (un "mariage" très en vogue aux USA aujourd’hui), et du coup sa jeunesse fut marquée des débats religieux enflammés. L’humanité prétendument utopique de l’ère de DIS ressemblerait donc étonnamment à la nôtre... Et d’emblée le thème de l’épisode est posé.
- S’ensuit un échange entre Tilly et Stamets où ce dernier - toujours "mystico-inconsolable" - explique son appréhension à se reconnecter au spore drive du fait de ses "retrouvailles" avec feu son ami Culber dans le mycelial network durant la première saison. D’après l’ingénieur, l’astromycologie lui aurait appris que rien ne disparait jamais et que les champignons seraient des recycleurs universels... ce qui le conduit à l’idée vitaliste d’un grand tout cosmique où la vie éternelle serait possible. Un abus de Carlos Castaneda ? Visiblement, Discovery emboîte le pas des saop New Age telle La Terre d’émeraude de Daniel Meurois. Le mycelial network est-il appelé à devenir le mystical network ?
- Pour tenter d’expliquer la présence d’une colonie humaine (New Eden) sur la planète Terralysium (à plus de 50 000 années-lumière de le Terre), et fondée en 2153 (donc durant la WW3 terrienne, soit dix ans avant l’invention de la distorsion par Zephram Cochrane), le premier réflexe des officiers de Starfleet n’est pas ici d’envisager un enlèvement par des extraterrestres ou une anomalie spatiotemporelle (à l’instar de tous leurs homologues des séries Star Trek historiques confrontés périodiquement à de semblables "colonies humaines anachronique"). Non, dans Discovery 02x02 New Eden, la première chose que fait Pike est de citer Shakespeare (« Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio »)... tandis que la scientifique Burnham interprète aussitôt l’invocation de ce célèbre vers de Hamlet comme la possible hypothèse d’une intervention divine ! Sommes-nous vraiment là dans Star Trek ?
- Puis suit un échange entre Burnham et Pike sur l’impossibilité de distinguer les extraterrestres très avancés de Dieu. Poser d’emblée cette "impossibilité" n’augure rien de bon…
- La lieutenante Joann Owosekun est issue d’une communauté de luddites humains. L’existence d’une telle obédience au sein de la société utopique trekkienne (dont l’économie n’est pas productiviste tandis que les technologies sont d’une grande innocuité) pourrait impliquer un vecteur idéologique ou religieux. Certes, durant l’épisode, Owosekun se déclarera explicitement athée... Mais justement, pour quelle raison s’est-elle sentie tenue de l’affirmer de façon si revendicative ? Ne serait-ce pas analogique de la lieutenante Ilia qui dans ST The Motion Picture ne manquait jamais une occasion de clamer son vœu de célibat (par opposition à la réputation ultra-libertine de son espèce deltane).
- Le point d’origine du signal de détresse émis en boucle par la colonie New Eden depuis plus de 200 ans… est une église (tout un symbole).
- Les beaux vitraux de l’église en question matérialisent le fantasme méta-religieux ultime, à savoir une synthèse du christianisme, du judaïsme, de l’islam, de l’hindouisme, du bouddhisme, du shintoïsme, et de la wicca. Quand bien même cet improbable assemblable serait dogmatiquement totalement dysfonctionnel, le symbole est puissant tant il faut y voir le "vaisseau religion" terrien en exil aux confins du quadrant bêta, déployée autour d’une communauté rurale très religieuse constituant en quelque sorte la version 2.0 (omni-pan-syncrétiste) de l’Americana de Frank Capra ou de Henry King.
- Durant le bivouac, la All-Mother Amesha relate au détachement (composé de Pike, Burnham, et Owosekun) l’histoire de leur colonie, constituée de 11 000 descendants d’humains réfugiés dans une église en 2053 sur Terre (tandis que la troisième guerre mondiale faisait rage), et qui furent mystérieusement déplacés (avec l’église !) sur Terralysium par des créatures à l’apparence angélique… Par gratitude envers ce miracle, les First Saved ont alors unifié toutes les religions terriennes en une seule. Ainsi s’achève ce beau moment de communion à caractère hagiographique dans une ambiance prédicatrice que n’aurait pas boudée les missionnaires protestants du Far-West au 19ème siècle.
- Jacob, désireux de retenir de force ceux qu’il prend (à juste titre) pour des Terriens ayant répondu à son signal de détresse (émis depuis les fondations de l’église), fait exploser une flash grenade qui fait perdre connaissance au détachement. C’est alors que dans un état d’inconscience ou de coma, Burnham aperçoit (pour le seconde fois) un "Ange rouge".
- En s’évadant du local où Jacob les avait enfermés, Pike dit explicitement que le Prime Directive l’emporte sur la possibilité que Dieu y soit pour quelque chose dans l’existence de New Eden. L’idée de l’existence de Dieu et de son intervention est bien vite adoptée par les héros (quand bien même sur le ton de l’ironie).
- Lorsqu’au nom de la science qu’elle estime être sa "religion", Burnham déclare qu’il faudrait réintégrer la colonie New Eden à l’humanité trekkienne et surtout leur révéler que leur foi religieuse n’est qu’un mensonge, Pike la met alors au défi de le prouver (« Can you prove that ? »), ce à quoi elle ne peut (évidemment) répondre. Est-ce là une préfiguration de la réponse finale que nous concocte la saison 2 ?
- Pendant ce temps-là, lorsque la passerelle de l’USS Discovery découvre que Terralysium sera frappée seulement 62 minutes après par l’un de ses anneaux radioactifs, immédiatement le commandant en second Saru en déduit que l’USS Discovery n’est probablement pas arrivé là (et à ce moment-là) par hasard, et qu’il lui appartenait de sauver les habitants de Terralysium. Suggérant donc la main invisible d’une "puissance supérieure" qui guiderait le vaisseau dans une missions salvatrice…
- Dans l’infirmerie de l’USS Discovery où Sylvia est soignée après la décharge énergétique de l’échantillon d’astéroïde empli de metreon, elle reçoit répétitivement la visite d’une jeune fille étrange en habit de Starfleet qu’elle seule semble voir. Et c’est elle qui soufflera à Tilly la solution pour sauver Terralysium de l’hiver nucléaire irréversible (utiliser le champ hyper-gravitationnel de l’astéroïde composé de matière noire afin d’attirer les débris radioactifs). Sylvia découvrira par la suite qu’elle aura été en fait aidée (et donc que New Eden aura été sauvée) par le spectre de May Ahearn, une amie d’enfance morte en 2252. Le contexte salvateur plaide d’ailleurs plutôt un "ange" qui aurait pris la forme de May afin de sauver la colonie humaine du Quadrant Bêta à travers l’USS Discovery.
- Burnham demande à Amesha la permission d’aller avec Pike blessé dans l’église afin d’y prier pour son salut (certes, une adaptation aux us locales sous couvert de Prime Directive).
- Après avoir forcé l’entrée de l’église, et assistant stupéfaite à la téléportation (particulièrement lumineuse) de Pike, Burnham, et Owosekun), Amesha s’écrie « Les dieux ont répondu à notre prière. L’ange est revenu nous sauver ».
- En révélant à Pike sa vision de "l’Ange rouge" lorsqu’elle était blessée sur l’astéroïde, Burnham ajoute qu’elle fut submergée par sa beauté ! Ce qui conduit à des considérations sur la notion de Révélation. Voilà qui emprunte directement à des paradigmes judéo-chrétiens caractérisés.
- Lors de l’échange sur la tentation morale satisfaire les questionnements de Jacob (descendant de scientifique), Pike réaffirmera la primauté du General Order 1 même sur les anges ! Voilà qui est audacieux.
- Grâce à la batterie longue durée que Pike laisse à Jacob en contrepartie d’un casque de soldat, l’église de New Eden s’illumine de gloire (après une longue période de ténèbres), tel un vaisseau fantôme, un phare surnaturel dans la nuit, ou une chapelle ardente vers l’au-delà. Ouf, depuis tout Terralysium, les pèlerins vont pouvoir de nouveau affluer vers l’église de New Eden.
- De retour sur l’USS Discovery, Pike accède à l’enregistrement vidéo du casque de soldat (helmet camera) de la WW3, et il découvre – telle une révélation (encore) – que les First Saved furent sauvés d’une explosion nucléaire sur Terre durant la troisième guerre mondiale… par un Ange rouge ! Bon, on s’y attendait un peu, mais il y a au moins une belle invariance de motif du début jusqu’à la fin de l’épisode.

En somme, Discovery 02x02 New Eden baigne de bout en bout dans un halo de religiosité hautement symbolique, qui plus est inexplicablement anthropomorphe et anthropocentrée. Tel un confort ouaté, auréolé de lumière, traversé de présences invisibles bienveillantes et salvatrices. Personne n’est là par hasard, tout a un sens, la mort conduit à la vie éternelle, et une puissance supérieure a touché de sa grâce l’USS Discovery et son équipage. C’est aussi bon pour l’âme que Ghost et Always… et tellement plus réconfortant que l’univers froid et athée de Star Trek.
Tel un manifeste pour un univers – panthéiste ou déiste (au choix) – gorgé de spiritualité, Discovery 02x02 New Eden surclasse sur leur propre terrain les épisodes les plus cryptiques de Babylon 5, les plus New Age de Stargate SG-1, les plus bibliques de Battlestar Galactica 2003, et les plus sotériologiques de Millennium.
Seule la série Lost demeure encore un maître spirituel indépassé, mais pas forcément indépassable au train mystique où vont les choses.
Avec une super-religion cosmopolite de synthèse, Pike en bon pasteur, des anges visibles et invisibles, la promesse du salut et de la vie éternelle... ce Star Trek 3.0 chercherait-il désormais à séduire les audiences évangélistes et aussi les amateurs de télévangélisme (il est vrai une démographie en plein essor) ?

Chaque épisode de Discovery semble pousser un peu plus loin les absurdités scientifiques, à se demander parfois si les scénaristes ne se lancent pas des défis pour éprouver (ou narguer) toujours davantage la crédulité des trekkers.
Ainsi donc, continuant sur la belle lancée de ces red bursts détectables instantanément de part et d’autre de la galaxie (violant sans complexe à la fois la relativité restreinte des sciences réelles que les mécanismes subspatiaux des sciences trekkiennes), Discovery 02x02 New Eden aggrave les choses en tentant de fournir des explications techniques à ce qui ne s’explique pas… sauf dans un univers miniature ou par la magie d’un technobabble nonsensique.
- Lorsque Saru détecte un nouveau red burst, Tilly tente de moduler le déflecteur du vaisseau pour utiliser les distorsions gravimétriques tel un "sonar" afin de mesurer la distance exacte de l’évènement. Postulat aberrant puisque la gravitation demeure une interaction forte mais de proximité, tandis que les ondes gravitationnelles sont elles-mêmes soumises à la causalité de la relativité générale.
- Pour un événement dont il apparaît finalement qu’il s’est déroulé à 51 450 années-lumière de distance, la solution de Burnham n’est pas moins invraisemblable puisqu’elle invoque la nécessité de s’en rapprocher à distorsion (comme si 5 secondes en distorsion maximale allaient faire une quelconque différence à l’échelle d’un voyage qui de l’aveu même de Pike prendrait 150 ans).
- Finalement, Michael réalise la mesure du gravitational redshift (nommé aussi décalage d’Einstein en sciences réelles) durant la brève séquence de distorsion ! Voilà qui - derrière l’enfumage d’une interaction gravitationnelle supraluminique (scientifiquement absurde) - enracine formellement la méthode dans la relativité générale... selon laquelle l’information mesurée n’aurait pu l’être que 51 450 ans après le red burst !
- En découvrant l’infranchissable distance qui le sépare de sa cible aux confins du Quadrant Bêta, et réclamant un voyage d’un siècle et demi à distorsion maximale, Pike – qui ne doute visiblement de rien – demande à son équipage tout naturellement des solutions !!! Le quotidien de Starfleet, quoi ! Cette légèreté ferait sourire si elle n’était pas insultante vis-à-vis de la pesanteur réaliste de l’éloignement (70 000 années-lumière) auquel sera confronté la capitaine Janeway plus d’un siècle après.
- C’est alors que Saru suggère à Pike l’emploi du spore drive dont il n’avait visiblement pas connaissance jusque-là. En revanche, il connaissait le protocole black alert (allez comprendre !). Et sa découverte soudaine de l’existence de cette révolution copernicienne (pouvoir sauter instantanément vers n’importe quel point de l’univers) digne de l’invention de la distorsion elle-même en son temps... ne l’étonne pas même un peu ! Aussitôt dit aussitôt fait, sans même en informer Starfleet, l’USS Discovery met entre la Fédération et lui... 51 450 AL, soit quasiment la même distance que l’USS Voyager dans VOY (Quadrant Delta) ou l’USS Defiant à travers le wormhole de DS9 (Quadrant Gamma). Une journée ordinaire dans Starfleet... lorsque rien ne compte.
- Décommissionné par Starfleet faute d’interface non-humaine tandis que l’injection de l’ADN de tardigrade dans le corps de Stamets contrevient aux lois antigéniques de la Fédération, le spore-drive demeure malgré tout réactivable en cas d’urgence, comme la guerre avec les Klingons ou encore l’investigation sur les red bursts. Ce qui matérialise bien par l’exemple l’incohérence trekkienne d’une telle technologie de rupture, car quand bien même formellement interdite dans le futur (vu qu’aucune série ultérieure n’y a jamais fait la moindre allusion), il est irréaliste qu’elle n’ait jamais été réutilisée ou au minimum évoquée dans le cadre des causes impérieuses tels la guerre contre le Dominion ou l’épopée de l’USS Voyager. En effet, nécessité fait droit, et si Discovery 02x02 New Eden en offre une très cohérente illustration, cela ne fait que davantage en décrédibiliser l’intégration dans la chronologie trekkienne. Gageons malgré tout que les auteurs trouveront une catastrophe de telle proportion cosmique (à l’instar de celle que viennent probablement annoncer les Anges rouges) comme résultante de l’usage du spore drive que cette technologie improbable sera littéralement arrachée de la mémoire collective.
- L’enseigne Sylvia Tilly est de plus en plus atteinte du "syndrome Wesley Crusher". Malgré un vaisseau à la vocation scientifique composé de nombreux experts et de non moins de laboratoires, seule la post-cadette Tilly réussira successivement (et à sa seule initiative) à extraire de l’astéroïde non baryonique un échantillon pour créer un résonateur à ondes cohérentes, afin de fabriquer une "interface de navigation à matière noire" qui dispenserait Paul Stamets de devoir s’interfacer physiquement au spore drive. Puis c’est encore Tilly qui réussira à improviser un plan (certes soufflé par le "spectre" de May Ahearn ou un "ange") pour sauver Terralysium d’une contamination nucléaire léthale en interrompant in extremis la chute dans l’atmosphère de l’un de ses anneaux composés de particules radioactives. L’ennui, c’est que par son instabilité et son narcissisme (mais aussi par sa vocation clownesque comme lorsqu’elle se justifie auprès de l’ordinateur de bord), Tilly est bien moins convaincante (et bien plus irritante) dans le rôle du "petit génie" que ne l’était Wesley.
- La solution prétendument "géniale" pour utiliser le champ hyper-gravitationnel du rocher de matière noire (stocké dans le gigantesque hangar à navette de l’USS Discovery) afin d’attirer tel un "amant" les débris radioactifs de l’anneau planétaire… n’est malheureusement pas crédible pour des questions entropiques (ou en d’autres termes d’homogénéité énergétique). Car si la puissance de l’USS Discovery n’était pas suffisante pour détourner (ou désintégrer) les débris de l’anneau planétaire alors que le puits gravitationnel de l’astéroïde non baryonique le pouvait, d’où l’USS Discovery tirait l’énergie lui permettant de conserver ledit astéroïde sous un champ de gravité artificielle générée par le vaisseau sans en subir les effets dévastateurs dans ses propres entrailles ? Starfleet possède des technologies avancées, oui. Néanmoins, la SF trekkienne avait jusqu’en 2005 toujours respecté les lois naturelles, tel le principe de Lavoisier et l’entropie. Exit donc le mouvement perpétuel, l’énergie infinie, et autres formes de magies non-scientifiques.

On appréciera l’humour autoparodique de plus en plus marqué (ou brisure du quatrième mur) chez Christopher Pike… qui émule de plus en plus celui de Jack O’Neill dans Stargate SG-1, par exemple lorsqu’il s’initie pour la première fois au spore drive et le qualifie « d’autoroute de champignons pour bondir à l’autre bout de l’univers ». À mourir de rire (ou pas).

L’indétermination (temporaire ?) entre ce qui serait peut-être le premier authentique Star Trek de la série Discovery et à l’opposé ce qui pourrait s’avérer la pire des arnaques depuis le reboot de 2009... repose paradoxalement sur une généralisation trekkienne de l’un des catégorèmes les plus fondamentaux de la science-fiction littéraire, à savoir la Troisième loi d’Arthur C Clarke, et que Pike invoque (sous la forme d’une généralisation intra-trekkienne) dès le début de l’épisode tel l’incipit symbolique de toute la saison : « Lorsque les extraterrestres sont suffisamment avancés, ils ne peuvent être distingués de Dieu ».
Rhétoriquement, c’est brillant ! Car Discovery fait ainsi mine de procéder du postulat majeur qui démarque philosophiquement la SF (relativisme et démystification) de la fantasy (absolutisme et mythification). Sauf que selon l’intention réelle des auteurs, ce même postulat peut aussi devenir le plus inattaquable des alibis pour avancer sous fausse bannière, en introduisant impunément Dieu dans la plus SF des SF au motif que l’écart évolutionniste ne permettra jamais aux protagonistes humains (ou humanoïdes) de trancher la question (et c’est ainsi que naît une théologie).
Bien sûr, l’honnêteté intellectuelle nous oblige à accorder aux showrunners – en dépit de leur passif antitrekkien - un bénéfice du doute minimal jusqu’à la fin de la seconde saison.
Toujours est-il que le caractère en apparence éminemment trekkien de l’épisode force moins l’admiration... que le brio de la manipulation à laquelle il pourrait préparer le terrain sous un tonnerre d’applaudissements des trekkers ! Symptomatique mais bluffant. Car le faux Star Trek abramso-kurtzmanien ne nous avait pas encore accoutumé à un tel niveau de jésuitisme sophistique. Sur le podium des contrefaçons, Discovery boxerait désormais dans une autre catégorie.
Donc bravo ! Mais… pour un renouement avec le trekkisme authentique… ou (plus vraisemblablement) pour une niveau d’illusion encore jamais atteint ?

Alors pourquoi un 2,5/5 plutôt que la note la plus basse ?
Eh bien parce qu’il n’est pas équitable de condamner sans preuve.
Parce que cet épisode qui parle de foi réclame (justement) un acte de foi.
Et enfin, parce qu’à partir d’un certain niveau d’illusion, la contrefaçon est aussi un art.

Cette ligne de programmation ne sert qu'a formaté proprement les lignes de textes lors d'un utilisation sous Mozilla Firefox. J'aimerais pouvoir m'en passer mais je ne sait pas comment, alors pour l'instant. Longue vie et prospèrité